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Temps

L’art a été une manière élégante d’expérimenter le temps qui passe tout en produisant des œuvres dont la fréquentation devait faire oublier le passage du temps ou de s’en accommoder. C’était traditionnellement une des fonctions de l’art occupant les sens et l’esprit et indiquant des pistes d’élévation et de distraction éloignées des contingences matérielles.

Le temps est depuis toujours une composante fondamentale qui mesure la musique et par là même, une technique pour organiser le temps mental et émotionnel. Mais il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour qu’il devienne, chez certains créateurs, musique à part entière, instrument de musique. Écouter réellement le temps passer, nous sentir travaillés, transformés et éreintés par l’ennui du temps réel. Comme ces enregistrements de phénomènes naturels ou de mécanisations industrielles qui restituent, avec l’illusion de la durée telle quelle, les processus de répétition et d’usure, d’envoûtement et d’abrutissement. Comme l’enregistrement du « bruit » sourd que dégage la lente progression d’un glacier, par exemple : représentation d’une forme d’infini et de lenteur géologique.

Cela peut donner des pièces musicales incommensurables, qui donnent l’impression de se dérouler sans fin, éprouvantes. Quand on a cheminé patiemment tout au long de leur trame, on a le sentiment de n’être plus le même. On a éprouvé le temps comme jamais, on en a fait une expérience corporelle et spirituelle comme jamais. Le parallèle est évident avec certaines expériences de méditation.

Ces nouvelles aventures musico-temporelles se sont ouvertes dans un contexte post-colonial qui remet en cause la main-mise européenne sur toute une série de valeurs dont celle du temps. Ainsi, ces nouvelles musiques forcément spirituelles, procédant par répétitions et ralentissement, étirement et immobilisation vibrante de quelques sons rares, accélération immobile qui dessine des trompe-l’œil d’éternité, se posent en alternative aux rationalités occidentales. Par là même, ces drones, continuum et autres labyrinthes vibratoires réfléchissent une autre approche de l’humain dans le cosmos, accentuent la dialectique du plein et du vide, les deux pôles entre lesquels oscille le balancier de notre temps de vie. Par là se construit en outre, peut-être, une opposition aux notions de plus en plus utilitaires du temps des affaires. Il faut (ré)apprendre à perdre du temps pour rester soi et garder sa capacité d’écoute.

Dans un environnement où l’on prétend tout connaître, où les territoires vierges ont disparu, l’espace temporel émerge comme territoire de l’inconnu où l’on redécouvre le monde sous de nouvelles perspectives, où l’on recommence sans cesse l’exploration de soi et des autres.