Charlemagne Palestine est un musicien actif depuis les années 1970, que l’on redécouvre seulement aujourd’hui, après une période d’une quinzaine d’années durant lesquelles il avait délaissé la musique pour l’art plastique. Ses pièces se divisent en une série de compositions pour piano, généralement un Bösendorfer impérial – un piano qui possède une octave de plus que les autres pianos et qu’il joue en maintenant la pédale sustain constamment enfoncée – et des pièces pour synthétiseurs, dont il tire des accords prolongés à l’infini. Toutes ces pièces ont en commun un goût pour les harmoniques, les résonances, et une préférence pour les compositions de longue durée. Également reconnu pour son travail vidéo et ses installations visuelles, il est aujourd’hui célébré comme un précurseur. Sa personnalité exubérante fait souvent hésiter le spectateur (l’auditeur) : S’agit-il de musique ou de performance ? Les concerts de Charlemagne Palestine ont en effet une certaine tendance à tourner au happening, comme toutes ses apparitions publiques. Son apparence flamboyante, chemise bariolée, chapeau de cow-boy à large bord, sa collection d’ours en peluche, son incapacité à tenir en place, son chant extatique et son irrésistible envie de parler à son public, rendent ses performances déconcertantes.
Débutant en musique dans les années 1960 comme carillonneur, il commence rapidement à expérimenter à l’orgue puis avec les premiers synthétiseurs, et à développer son style de chant, hérité à la fois de son apprentissage de Cantor, officiant dans les synagogues de New York, et de toutes les influences marquantes de son époque. Son art est un concentré de tout ce qui constituait alors une inspiration pour l’avant-garde, le minimalisme, le happening, la découverte de la musique indienne (il a étudié avec Pandit Pran Nat) et du gamelan, l’op-art, le pop-art, Fluxus, les répétitifs, le colourfield painting d’un Mark Rothko et la musique de John Cage. Si ses compositions ne comportent généralement que quelques notes, répétées à l’infini et prolongées par la réverbération, il se défend d’être un minimaliste et préfère qualifier sa musique de musique de transe, comparant son jeu de piano au jeu de guitare du flamenco. En ce sens il se dit plutôt maximaliste, cherchant à tirer de son instrument une énorme quantité de sons, d’harmoniques et de textures. Il en ressort une musique extraordinairement complexe en dépit de la pauvreté apparente des moyens employés.
Ainsi, son premier album, Four Manifestations on Six Elements, sorti en 1974, est un disque faussement statique, qui réclame de la part de l’auditeur une attention soutenue pour le détail du son, et pour les microvariations qui le mettent imperceptiblement en mouvement. Cette agitation est d’autant plus visible dans les pièces pour piano, dont la performance est un ostinato au sens le plus brut du mot. Palestine y martèle un piano avec une obstination brutale, allant, dit la légende, jusqu’à finir chaque pièce avec les mains en sang. On y retrouve pêle-mêle des échos de Debussy, de Terry Riley, de Schoenberg, de La Monte Young, et surtout une persévérance opiniâtre dans l’exploration des qualités du son. Avec une concentration forcenée, il explore chaque tonalité comme de l’intérieur, et en présente toute la richesse et toute la complexité.
(Benoit Deuxant)