Cette anthologie parue en 1997 rassemble des œuvres pour cordes amplifiées considérées à raison comme des sommets de la musique minimaliste. Hormis Four Violins, enregistré le 19 décembre 1964, les trois autres pièces, Early Minimalism : April 1965, Early Minimalism : May 1965 et Early Minimalism : June 1965 ont été interprétées et captées en 1994. Ces trois œuvres font partie d’une série de sept dont quatre doivent encore être éditées.
Dès 1962, Tony Conrad forme le Theatre of Eternal Music avec John Cale, Angus MacLise, La Monte Young et Marian Zazeela. Sous l’influence de John Cage, Fluxus, la musique indienne et le jazz modal, ils abandonnent la tradition de la composition pour inventer un nouveau genre musical, extrêmement hypnotique, s’épanouissant lors de performances de longue haleine, basé sur des structures répétitives aux variations graduelles et la focalisation sur des phrases musicales au matériau volontairement peu complexe.
Par rapport à d’autres minimalistes tels que Steve Reich ou Philip Glass, plus proches des us et coutumes occidentales par l’importance qu’ils accordent à la partition, l’exploration du son de Tony Conrad et ses acolytes se veut plus sensuelle, plus spontanée. Elle s’inscrit dans une durée où début et fin se diluent pour initier chez l’auditeur un rapport au temps hors normes, prélude à une méditation païenne.
Dans ce cadre, Tony Conrad développe un style de jeu au violon qu’il n’a eu de cesse de creuser depuis. En se concentrant le plus souvent sur une seule note étirée lentement, le drone, il élabore un son puissant à la texture vibrante et chaude, dont la présence physique est accentuée par l’amplification des cordes. Pour Four Violins, dont la création et l’enregistrement, simultanés, ont duré un peu plus de deux heures, il joue et superpose en temps réel quatre pistes de solos de violon. Cette déflagration peut engendrer un sentiment proche de l’extase, tant sa puissance incantatoire et émotionnelle reste intacte.
Les autres pièces d’_Early Minimalism_, enregistrées en 1994, procèdent de la même approche, même si le violon de Tony Conrad a reçu le concours d’autres instruments à cordes (violoncelle, contrebasse, etc.), joués notamment par Jim O’Rourke.
Peu d’œuvres donnent autant l’impression de pénétrer l’âme d’un pays. Les pièces d’_Early Minimalism_ et plus particulièrement Four Violins sont de celles-là : épiques, elles s’émancipent des traditions du vieux continent et communiquent une joie sauvage que l’on retrouve par exemple dans les écrits de Walt Whitman ou certaines compositions de Charles Ives.
(Alexandre Galand)