La musique de Jim Haynes est indissociable de son travail de plasticien. Son approche du son s’est construite en parallèle à son évolution en tant qu’artiste visuel. Sa démarche est trompeusement simple à résumer et consiste en un manifeste de trois mots : « I rust things » (« Je fais rouiller des choses. »). Haynes est fasciné depuis plus de dix ans par la corrosion et par la dégénérescence, par la dégradation sous toutes ses formes et dans toutes les acceptions du terme, du plus concret au plus métaphysique. Partant d’une première approche esthétique consistant à ajouter les textures et les couleurs de la rouille à ses compositions picturales et à ses photographies, il en est venu rapidement à envisager les conséquences plus larges de cette démarche. À l’origine simple ajout « décoratif », cette utilisation de la rouille a apporté dans son œuvre un facteur imprévu : l’introduction du facteur temps. Désormais dépendante de ce passage du temps, son œuvre plastique échappe à l’illusion de finitude, d’immutabilité de l’œuvre d’art. Elle embrasse le changement, le mouvement, l’instabilité, et s’inscrit dans la durée, dans le long terme.
Adaptant cette idée et cette méthode de travail au son et à la musique, qui est d’ores et déjà un art du temps, Jim Haynes a cherché à reproduire les deux pôles contradictoires de son travail : une perpétuelle mutation dissimulée derrière une apparence statique. Sa musique comme ses peintures semblent définir un moment figé dans le temps tout en poursuivant de l’intérieur une activité continue, une mobilité infinie. Partant d’interférences radio, de distorsion de champs électriques, de manipulations de feedback et de textures sonores minimalistes, il construit des pièces qui vont se mouvoir avec une lenteur infinie, se développer comme en apesanteur. Sa musique ne semble se déplacer qu’avec peine, à contrecœur, entraînée par des processus internes de déliquescence, de corruption. Mais ces processus ne sont pas à percevoir négativement, ils reproduisent une vie autonome quasi organique, où la matière se renouvelle d’elle-même, se métamorphose imperceptiblement par des stades successifs de transmutation presque alchimique. Elle remet en cause la permanence et la pérennité des sons et des matières et réintroduit l’irrévocable fatalité du devenir, de l’altération. Admises comme inéluctables, ces transformations apparemment incontrôlées pourraient être regrettées, refusées, mais elles ne peuvent être ignorées.
En cherchant au contraire à appréhender cette mobilité, cette instabilité, Jim Haynes célèbre le dynamisme à l’œuvre sous une surface perçue comme statique, reconnaissant cette stase comme un cycle d’activité infinitésimale, de bouleversements insensibles et toutefois palpables dans les modifications subtiles apportées par la corrosion ou sa simulation. En ralentissant cette évolution jusqu’à un point limite d’engourdissement frôlant l’inertie sans jamais s’y résoudre, il remet en cause la notion de mouvement comme son inverse la fixité, la constance. En mettant à l’épreuve la solidité et la persistance du matériau, il éprouve et questionne le concept d’éternité comme celui d’instant. Une pièce comme Telegraphy By The Sea repose ainsi sur ce déséquilibre subtil, et ondoie gracieusement, avec une lenteur majestueuse qui réclame l’acceptation de l’inexorable.
(Benoit Deuxant)