DEATHPROD


Album à la pochette résolument noire, aux titres funèbres, réalisé par un musicien opérant sous le nom de Deathprod, Morals and Dogma pourrait aisément évoquer le weltschmerz du death metal scandinave ou de faciles images de mélancolie gothique. L’origine norvégienne de Helge Stern, le musicien derrière ce pseudonyme, pourrait encore sembler confirmer cette piste, lui additionnant un décor irréprochable fait d’étendues de glaces survolées d’aurores boréales. Mais ce serait passer à côté de l’étonnante subtilité de ce disque, extraordinairement fin malgré l’ampleur élégiaque de ses quatre pièces. En effet, malgré son nom de groupe de black metal et sa participation à la formation de jazz Supersilent – dont il est un des membres fondateurs –, la musique de Deathprod est plus proche de l’esprit de compositeurs classiques comme Gustav Mahler, György Ligeti ou Arvo Pärt, ou de compositeurs de musique électronique isolationniste comme Thomas Köner, dans l’usage qu’il fait des formes longues, presque dépourvues de modulation, aux apparences faussement statiques.

Majestueux et cérémoniel, l’album a en effet la gravité d’un rituel funéraire, sans que rien ne puisse préciser si cela en est l’intention ; la grandeur et la solennité des morceaux réveillent des échos liturgiques, certes, mais aussi une douleur ou une angoisse plus générique, ou plus universelle. La lenteur hiératique de la musique lui attribue l’éclat immobile d’un miroitement, d’un scintillement, sa sévérité et son poids semblent la figer dans une éternité immuable. L’auditeur s’en trouve irrésistiblement entraîné dans un état second, une méditation stupéfaite, dont seuls des événements extérieurs peuvent le sortir. En cela la fin de chaque morceau arrive comme une surprise, une aberration, une cessation incompréhensible de cette perpétuelle et intense fixité. Sombre et hiératique, le disque est composé avec une remarquable économie de moyens, les sources sonores sont réduites au strict minimum, le violon et la scie musicale d’Ole Henrik Moe sur une partie des pièces, le violon ou l’harmonium de Hans Magnus Ryan sur les autres. Helge Stern utilisera par la suite quelques fragments de ces enregistrements pour les articuler précautionneusement, superposant les instruments à leurs ombres étirées, traitées électroniquement, avant de les immerger dans une masse flottante de fréquences basses, dans un grondement indistinct, qui les aspire encore sans les absorber totalement, préservant quelques tonalités éthérées, spectrales, un theremin ici, une scie musicale là.

Ces hululements fantomatiques soustraient imperceptiblement l’ensemble à l’engourdissement, à la consomption, et lui confèrent un lustre, une brillance et une aura hypnotique qui lui évitent de s’abîmer irrémédiablement dans l’obscurité, les ténèbres. Œuvre à la fois intense et floue, concentrée et diffuse, l’album est le résultat de plusieurs années de travail, témoignant sans ostentation d’une maîtrise méticuleuse des ambiances, engendrant des climats quasi cinématographiques, sculptant le temps, comme le professait Andreï Tarkovski, en altérant la perception de son passage, et en octroyant à chaque moment une part d’éternité.

(Benoit Deuxant)


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