Giacinto SCELSI

  • QUATRO PEZZI PER ORCHESTRA (FS1082)

La carrière de Giacinto Scelsi se scinde en deux périodes séparées par une crise psychologique qui devait s’étendre de 1948 à 1952 ; la première, qui se termine avec « La Nascita del Verbo » (1947-48) reçut l’influence de compositeurs comme Respighi, dont Scelsi fut l’élève, de Scriabine et de Schoenberg et traduit une assimilation progressive des grandes tendances du siècle comme le futurisme, le néo-classicisme, le dodécaphonisme ou même le surréalisme par la fréquentation entre autres de poètes et peintres comme Michaux, Eluard ou Dali. A partir de la 8ème Suite, Bot Ha de 1952, Scelsi marque la concrétisation d’une approche à la fois esthétique et spirituelle du son qui se reconnaitra davantage dans les spiritualités orientales et s’affranchira des méthodes compositionnelles combinatoires de la musique européenne.

Les « Quattro Pezzi per Orchestra su una Sola Nota », composés en 1959, sont souvent présentés comme l’expression la plus aboutie de la réflexion ou plutôt de la méditation sur le son que Giacinto Scelsi devait entamer pendant sa période de thérapie à la fin de la guerre. En effet, même si le piano avait été le premier instrument d’expérimentation d’une esthétique centrée sur la note unique, les cordes étaient plus aptes à reproduire un univers sonore tout en micro-tonalités et en mouvances subtiles. En développant les dimensions du son au-delà des paramètres de hauteur et de durée, Scelsi s’inscrivait dans le sillage d’une avant-garde réfractaire aux doctrines syntaxiques comme le néo-classicisme et surtout le sérialisme qui ambitionnait de régenter les développements de la musique contemporaine. Paradoxalement, le début de sa carrière de compositeur fut marqué par le dodécaphonisme de Schoenberg mais ce dernier l’intéressera davantage par sa « Klangfarbenmelodie » et la perspective qu’il y évoque d’articuler le développement mélodique sur une échelle de timbres. L’attrait pour la spiritualité orientale que l’on associe à Scelsi ne faisait pas de celui-ci l’exception du siècle et à côté de Scriabine qui, nourri aux doctrines ésotériques indiennes, prêtait à la musique une portée qui transcendait les simples critères esthétiques, les exemples ne manquent pas de compositeurs qui, comme Cowell, Messiaen ou encore John Cage, ne se sont pas contentés de chercher en Orient les fondements d’une nouvelle écoute musicale mais sont devenus eux-mêmes les relais charismatiques d’une approche intérieure du son qui, sans jamais constituer une école ou un doctrine musicale fédératrice, continue à imprégner les démarches actuelles.

Si Scelsi, dans ses écrits ou ses interview, est parvenu souvent à s’exprimer sur les fondements de son revirement des années cinquante, évoquant, en plus de la hauteur et de la durée, une troisième dimension du son que seule l’extinction de toute manipulation combinatoire rendrait perceptible, c’est dans une certaine avant-garde américaine regroupée sous l’appellation « ultramodernists » et plus précisément chez Dane Rudhyar que l’on peut retrouver, bien des années auparavant, les éléments qui lui serviront de terreau. Scelsi connaissait en effet les ouvrages de Rudhyar où celui-ci dénonçait la musique occidentale comme une architecture sans vie, fondée sur des notions de limites et non sur le rayonnement d’une cellule vivante. Faisant la différence entre le ton en tant que fréquence et la notion dévitalisée et relative de la note, Rudhyar oppose un microcosme rayonnant d’énergie à une coquille vide, à une enveloppe purement formelle sur laquelle la musique occidentale a fondé ses paramètres.

Pour Scelsi, qui poussera le concept encore plus loin et surtout saura l’incrémenter dans la pratique, seule la prise conscience de la sphéricité du son permet d’en pénétrer à la fois le cœur vibrant et la foison de variations micro-tonales qui gravitent dans sa périphérie. Cela dit, les références à l’Orient, clairement reconnaissables dans l’œuvre de Scelsi, ne signifient en rien une conversion culturelle et relèvent davantage de l’analogie que de l’assimilation ; en fait, aucune influence n’est écartée à partir du moment où elle constitue une clé d’accès aux profondeurs. A aucun moment Scelsi ne dressera l’Orient contre l’Occident ni n’utilisera la dialectique de la dérision, il saura simplement s’abreuver aux sources où qu’elles soient et progresser vers l’inconnu sans avoir l’impression de fuir. Tristan Murail, qui le connaissait bien, soulignera magnifiquement ce caractère positif des « Quattro Pezzi » : « …ils évitent d’être provocation pure, ils donnent à entendre. Ils sont le point de départ d’une aventure de la composition et de la perception qui portera de nombreux fruits ».

JL


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SCELSI, Giacinto
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