Pauline OLIVEROS


La différence entre entendre, phénomène passif et permanent, et écouter, acte conscient et dirigé, est capitale. D’après Pauline Oliveros, l’écoute, en tant que condition sine qua non de la communication, serait une des bases principales de la créativité et de la culture. Pourtant, dans notre société, l’éducation à l’écoute est négligée alors qu’elle est aussi importante, voire plus, que l’apprentissage de la lecture. Cette constatation a conduit la compositrice à élaborer le concept de Deep Listening, ou « écoute profonde ».

Née en 1932 à Houston (Texas), Pauline Oliveros raconte avoir vécu une enfance dans un monde sonore encore relativement peu marqué par l’industrialisation. Plutôt que le brouhaha de la ville, ce sont les grenouilles et les cigales qui, dans son souvenir, forment son premier environnement acoustique. A neuf ans, elle commence l’apprentissage de l’accordéon, auquel elle donnera ses lettres de noblesse dans le domaine des musiques expérimentales.

Dès les années 1950, elle s’intéresse aux musiques électroniques naissantes, en composant plusieurs pièces pour bande magnétique au Tape Music Center, une institution de San Francisco dont elle a été directrice. Durant cette période, elle vit des expériences formatrices. Alors que le free jazz est en train d’éclore, elle se lance dans l’aventure de l’improvisation avec Terry Riley. De là, elle gardera l’idée qu’une composition doit donner l’occasion à l’interprète de s’exprimer, et non d’exécuter avec servilité.

Comme pour beaucoup d’autres, les théories de John Cage impriment leur marque sur la pensée d’Oliveros. En particulier, la pièce 4’33’’ (1952) lui enseigne non pas l’importance du silence, mais l’intérêt d’écouter les bruits qui entourent et que produisent le spectateur et le musicien. On arrive ici à un des concepts principaux de la démarche de la compositrice. L’« écoute profonde » qu’elle promeut est non seulement une manière de vivre et d’interagir avec le monde, mais aussi une leçon en matière de composition. L’écoute de l’événement musical suscite une réaction de l’interprète-compositeur qui en retour crée un autre son, lui-même écouté et ainsi de suite.

Comme John Cage, Terry Riley et La Monte Young, Pauline Oliveros est marquée par certaines attitudes issues des philosophies extrême-orientales : la concentration et la méditation en premier lieu. Pour l’anecdote, elle est une grande adepte du karaté. Ses Sonic Meditations (élaborées à l’origine en réaction à la société violente que révèle la guerre du Vietnam) sont des compositions pouvant faire appel à l’intervention du public. Le plus souvent conçus de manière à être accessibles par le plus grand nombre (sans partition classique), ces exercices constituent un moyen de trouver par la pratique musicale un état de paix intérieure. Cette volonté de transmettre aux autres a occupé un large pan de la carrière d’Oliveros, comme en témoignent ses conférences et ses nombreux écrits.

Le jeu d’accordéon unique développé par la musicienne est lié à l’association de l’instrument à un système électronique. Sur scène, les sons produits sont traités directement par des processeurs contrôlés par l’artiste via des pédales. Ce dispositif, simple en apparence, permet l’émission de sons d’une grande richesse dont la texture, l’écho et la durée sont travaillés en direct. Par le biais de l’amplification, Pauline Oliveros aime également faire de chaque espace où a lieu la performance un réel partenaire de jeu.

Durant sa carrière, l’accordéoniste a de nombreuses fois croisé la route de chorégraphes (Merce Cunningham, Anna Halprin) et de metteurs en scène. C’est ainsi qu’à la fin des années 1980, elle a reçu la commande d’une musique d’accompagnement pour l’interprétation du Roi Lear par la compagnie new-yorkaise de théâtre expérimental Mabou Mines. La musique qui résultera de ce travail sera éditée en 1990 sous le titre de Crone Music (Lovely Music).

Le moins que l’on puisse dire de cet album, c’est qu’il est habité, voire hanté. Dans les croyances populaires anglaises, une crone est une vieille femme qui, proche de la mort, est en contact avec des forces occultes. On pourrait identifier Oliveros à ce rôle de médiateur avec un monde parallèle, mystérieux et fascinant. Crone Music offre une expérience d’immersion où les drones jouent le rôle de draps flottant au vent, où les successions d’accords font office de soudaines apparitions. Certaines sonorités évoquent l’orgue, ce qui renforce la qualité mystique et fantomatique de la musique. L’album Ghostdance (Deep Listening, 1998) évoquera encore ce type d’ambiance.
Nul doute qu’avec cette composition, Pauline Oliveros transforme l’auditeur en une oreille attentive, en un « auditeur profond».

(Alexandre Galand)


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OLIVEROS, Pauline
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