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Corps

Longtemps, l’art a cultivé la transcendance du corporel et évacuait ce qui gênait dans le corps : le fonctionnel, l’organique, les bas instincts, les déjections. Le corps était utilisé comme représentation de l’âme. Depuis, le corps a réintégré avec fracas le monde de l’art : depuis les performances physiques avec mutilation jusqu’à la mise en boîte manufacturée de la « merde d’artiste »... L’art, pour autant, ne substitue pas le « dégradant » au sublime, le déplacement se situe ailleurs. La relation au corps a changé : les règles de maintien, l’habillement, les tabous, ce qui est permis de montrer ou non, le rapport à la sexualité… Mais aussi et surtout toutes les connaissances scientifiques sur le fonctionnement organique, la chimie et la mécanique des corps ont bouleversé le regard posé sur le corps. L’exploration de ce qui se cache derrière la vie des corps ouvre sans cesse de nouveaux territoires, de plus en plus ténus et ramifiés, reportant toujours plus loin la traque de cette membrane immatérielle qui fait jonction avec l’âme. L’antinomie corps/âme et cerveau/émotion, fondement de nos hiérarchies culturelles, s’effrite en un infini de plis et replis résonants. Le corps devient caisse de résonance, instrument de musique, terrain de recherche. Tout passe par le corps, le psychisme, l’inconscient, le social, la nature, son système nerveux se connecte à tous les réseaux névralgiques de la société industrielle. Ce qui s’en échappe est donc forcément symboliquement très riche, instructif. Des sondes, des micros, des capteurs de plus en plus sophistiqués vont observer et traquer ce que dit le corps, dans chacune de ses particules, enregistrer ce murmure pour le transformer ou l’interpréter en musique. La technologie permet d’intercepter les énergies invisibles qui animent le corps, les électricités nerveuses, mentales, les émanations immatérielles, l’invisible et l’inaudible, et d’explorer son empreinte spatiale, les traces qu’il abandonne dans l’atmosphère.

Le déplacement même de chaque corps génère une musique particulière qui inspire des musiques-performances qui modulent le mouvement, les gestes, les frictions entre la peau et les vêtements, les tensions ou les harmonies entre un lieu et ses occupants. Elles évoluent simultanément au monde de la danse où de nouveaux alphabets ont libéré le refoulé corporel sur la scène esthétique. L’exécution musicale même implique du corps un engagement nouveau, beaucoup moins « policé », requérant mimiques, contorsions, déformations, « exagération » des gestes et des actes pour installer, dans la musique, une présence physique plus évidente, palpable, une sorte de dérangement. C’est le cas particulièrement pour les expressions vocales où tout l’appareil respiratoire et locutoire sculpte le souffle humain. La voix du corps se multiplie, se déconstruit, se métamorphose. Le corps entre de plain-pied dans la nouvelle organologie en se connectant, en s’agençant à toutes sortes d’appendices (bricolés, technologiques) qui le prolongent ou le complètent, reflets de fantasmes.

Il reste aussi le lieu où s’expérimentent de nouvelles versions de transe et de possession comme point de contact avec une ancestralité évolutive.