Le curriculum vitae de Kaffe Matthews, artiste anglaise pionnière dans le domaine des musiques électroniques improvisées, montre la diversité de ses approches. On peut y lire qu’elle a joué dans le monde entier avec des partenaires aussi divers et étonnants que le violon, le theremin, le climat écossais, des scientifiques de la Nasa ou le BBC Scottish Symphony Orchestra. Chaque lieu qu’elle investit est l’occasion de nouvelles investigations, le plus souvent à l’aide de dispositifs électroniques, seule ou avec Christian Fennesz, Éliane Radigue, Pan Sonic et bien d’autres.
Sa collaboration avec Hayley Newman l’a amenée à publier un disque comprenant trois pièces témoignant de performances enregistrées à Londres et Vienne. Chacune des compositions met le corps et le mouvement de Newman au centre du processus d’enregistrement. Pour Hook and Eye, l’artiste portait une veste agrémentée de velcros comprenant des microphones, rendant audibles tous ses mouvements. La source sonore principale de Crystalline réside dans le contact de hauts talons motorisés avec une surface amplifiée. Enfin, Soundgaze exposait des sons émis par des balances, bruits variant selon le poids déposé sur ces dernières.
Imaginer une musique à partir de tels dispositifs peut paraître une gageure, mais c’est sans compter avec les interventions de Kaffe Matthews, maîtresse dans l’art de la composition instantanée. L’électronicienne manipule les sons produits par Hayley Newman en temps réel et les fait cohabiter avec des éléments d’autres natures : échantillons de voix et d’éléments naturels (de l’eau qui coule, par exemple) ou même une chanson absurde à propos de chaussures. S’il est difficile de visualiser les performances originales, les trois œuvres n’en offrent pas moins une musique fascinante, qui passe par des atmosphères variées, de la contemplation à la frénésie. Le disque témoigne ainsi de l’opportunité d’inventer de nouvelles approches musicales, par le biais desquelles le microphone, le corps et l’ordinateur concourent à la formation d’un étrange ballet pour l’ouïe.
(Alexandre Galand)