Corps résonnant, l’Anglais Phil Minton (né en 1940) s’affirme depuis les années 1970 comme une des « voix » les plus radicales d’une zone mouvante située entre poésie sonore et improvisation vocale. Se consacrant d’abord à la trompette et à un chant encore respectueux des convenances, notamment au sein du Mike Westbrook Orchestra, le chanteur va être enthousiasmé par l’extension des pratiques instrumentales suscitée par l’improvisation libre naissante.
Ses enregistrements en solo, fondateurs, sont publiés une première fois au début des années 1980 par Rift, le label du guitariste Fred Frith. Rééditées par le label historique de l’improvisation anglaise Emanem, ces vocalises constituent la pierre angulaire de l’art de Phil Minton. Abandonnant l’usage d’un langage codifié pour exploiter une infinité de registres vocaux, il souffle, gémit, fredonne ou entame des débuts de mélodie évoquant le jodle, le plain-chant ou des incantations mystiques. Le plus souvent dans un état de tension, ses respirations appuyées évoluent en un gazouillis qui à son tour se transforme en un hurlement rauque.
Cette multiplicité est le signe d’une technique proprement stupéfiante, mise au service de l’expression de quelque chose d’intangible et d’essentiel. En effet, le côté abstrait qu’impose ce type de performance ne signifie pas que ce que communique l’artiste est dénué de contenu émotionnel. Au contraire, en se débarrassant des artifices, le chanteur traduit des états d’âme qui, par leur élémentarité, n’en sont que plus profonds.
On pense souvent à Samuel Beckett, dont la recherche esthétique a évolué vers la raréfaction du langage et la perte de la mémoire. Seul sur scène, Minton évoque d’ailleurs les êtres burlesques du grand écrivain. Sa gestuelle, ses expressions font partie intégrante d’une performance toute dévolue au rendu des mouvements, plutôt que de la signification, de l’humeur et de la pensée.
Le rapport avec les mots n’est pas pour autant complètement abandonné comme le prouvent les deux interprétations du poème Psalm of Evolution de Lou Glanfield. Ce travail sur des textes écrits, aussi libre soit-il, annonce les variations que Minton imposera à des textes de Ho Chi Minh et de James Joyce.
(Alexandre Galand)