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Recyclage

La distinction entre matériau noble et matériau banal s’estompe. Les bruits quotidiens banals ne sont plus l’opposé de la musique, il y a continuité. Les compositeurs de « musique concrète » prélèvent des échantillons sonores prosaïques qu’ils transforment électroniquement en nouvelles textures musicales, compositions paysagistes ou abstraites, narrations décalées.

La société de consommation a inondé le temps et l’espace d’objets de plus en plus rapidement obsolètes, remplacés rapidement par d’autres, qui encombrent les lieux de vie, les placards, les brocantes, les décharges et posent de réels problèmes de place. Ne va-t-on pas étouffer sous cette avalanche de nouveaux matériaux produits à la chaîne ? Les arts plastiques se sont vite emparés de la question pour créer du neuf à partir de matériaux de récupération – objets abandonnés, voitures à la casse – et révéler la beauté insolite des objets jugés dépassés. Beauté qui tient au design décalé des appareils et objets décoratifs, mais aussi au vécu patiné que les personnes y impriment. Ces surplus, ces « déchets » inspirent une archéologie de la société de consommation, un travail sur la mémoire, une critique du gaspillage et de la vitesse. La question va se poser de plus en plus aux créateurs : faut-il encore ajouter de nouveaux objets, ajouter à la saturation ? La tentation sera grande de recréer à partir du déjà créé. Ce qui est aussi le résultat de nouvelles compétences et expertises. Les microsillons ont profondément révolutionné la connaissance des musiques, des styles et particularités des artistes, en favorisant la réécoute intensive, en perfectionnant l’attention auditive. La passion de la musique s’appuie sur une mémoire comparative plus étendue qu’avant de ce que sont les musiques.

De cette génération vont naître de nouveaux musiciens déterminés à créer à partir des musiques qu’ils connaissent intimement, avec une nouvelle plasticité de l’oreille. Ils vont recycler les musiques avec lesquelles ils ont forgé leur identité. Collage, découpage, montage, déformation, mixage seront les techniques du recyclage. Ces manières de retravailler les musiques intériorisées, tout en présentant un aspect ludique inévitable, sont aussi d’incroyables outils d’analyse, comportent une dimension de « commentaire sur la musique par la musique » et s’accompagnent de nouveaux champs de réflexion sur les musiques populaires. Souvent, ce sera en s’attaquant à des tubes, classiques ou non, devenus trop lisses et transparents dans leur statut de stéréotypes, et en leur restituant des failles, des grains, des accidents, de l’imprévu. Relecture salutaire du patrimoine musical. Mais conserver la trace non cryptée de l’original n’est pas obligatoire : la transformation peut s’éloigner jusqu’à perdre toute dimension explicite. L’héritage est digéré, recyclé complètement. Prêt à resservir. Ce qui est aussi une manière de faire table rase.

Certains artistes vont aussi fonder leur pratique sur de l’autorecyclage. Ils créent une quantité minimale de sons, de modules musicaux ou constituent une palette d’échantillons – une librairie de sons qui sera leur « griffe » – et entreprennent un recyclage au long cours, en plusieurs étapes, plusieurs couches qui aboutissent à une première œuvre qui sera, ensuite, elle-même recyclée. Le recyclage conduisant alors à une sorte de mise en abyme musical qui aura des répercussions plus globales sur la culture de l’écoute. Personne ne pourra plus écouter de la même manière.