GROUND ZERO


Aux origines d’Otomo Yoshihide, il y a la guitare et il y a l’électricité. Adolescent, il servit le rock à Fukushima ; jeune homme, il s’adonna à Tokyo à toutes sortes d’expérimentations élaborées à coups de guitares électriques, de postes de radio et de platines (_turntables_). Et puis, de 1990 à 1998, il y eut Ground Zero, groupe à l’esthétique virulente dont Consume Red offre sans doute l’exemple le plus frappant. Là, sur une pièce et une seule née de l’usage obsessionnel du sampler, Yoshihide commande un nonette aussi impliqué que déluré dont les cordes – celles du shamisen de Yumiko Tanaka, de la basse de Mitsuru Nasuno et des guitares d’Uchihashi Kazuhisa et du chef de projet – élèveront en accord avec le saxophone soprano de Naruyoshi Kikuchi et les machines du même Yoshihide et de Sachiko M une cathédrale bruitiste à l’ombre de laquelle aucun discours musical ne pourra jamais pousser.

La première pierre, c’est-à-dire la principale, est cet appel fait en deux temps que l’on aurait tort de prendre pour une mélodie ; un appel de deux fois deux notes sorties du sampler de Sachiko M et répété combien de fois avant que s’achève l’heure qui fait la durée de l’exercice ? Un appel que l’on croirait sorti d’un autre saxophone que celui de Kikuchi et qui se transforme peu à peu en gémissement, en plainte ou en supplication, selon la nature des interventions instrumentales qui lui seront opposées. C’est que, avec autant de patience que d’endurance, chacun des musiciens présents s’appliquera, en parasites expressionnistes redondants ou en intempestifs bravaches, à déstabiliser le référent sonore ici répété. À force, le groupe parvient à ses fins provocatrices et l’exercice adopte d’autres contours, plus massifs peut-être mais permettant à Consume Red de s’imposer avec plus de virulence aussi, d’autant que l’association des batteurs Masahiro Uemura et Yasuhiro Yoshigaki commence à se faire entendre et à remuer l’ensemble. Alors, d’autres déflagrations et d’autres fracas défilent et composent une musique qui, aussi singulière soit-elle, peut rappeler celle du Naked City de John Zorn ou du Machine Gun de Peter Brötzmann : avec eux, Otomo Yoshihide partage un goût prononcé pour un art épais et furieux (qu’il vienne du rock ou du free jazz), goût qu’il continue aujourd’hui encore à développer avec des manières qui n’appartiennent qu’à lui.

Après qu’une musique électronique d’aigus démesurés aura terminé Consume Red, d’autres musiciens, aux quatre coins du monde, s’empareront de cette pièce de taille, histoire de remixer l’inremixable ou de faire naître du brouhaha nihiliste des preuves d’existence d’une indéniable musicalité. Ces preuves ont été collectées et rassemblées sur Conflagration, disque sur lequel on trouve Gastr del Sol, DJ Mao, Bob Ostertag, Dixon Dee, Violent Onsen Geisha ou encore Stock, Hausen & Walkman, pour faire naître de l’œuvre expérimentale d’un Japonais gigantesque une progéniture de sonorités différentes : désaxées toutes et, en conséquence, autrement délirantes.

(Guillaume Belhomme)


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