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MicroMacro

Le langage musical, écrit ou non écrit, a été une manière de traquer l’indicible des émotions qui agissent en nous, échappant à toute imagerie scientifique. Ce qui se passe à l’intérieur de l’être, ce qui l’habite. La musique jouait le rôle de médium sensible situé entre le matériel et l’intangible. De là à considérer que l’âme des choses et des êtres se dissimule dans les sons, se rassemble dans telle mélodie ou harmonie, il n’y avait qu’un pas, souvent franchi. La suprématie de la mélodie était soutenue par une conception globale de la place centrale de l’homme dans l’univers.

Mais la science évolue et développe l’appareillage pour débusquer l’infiniment petit, pour s’emparer, regarder et montrer ce qui se passe au cœur de n’importe quelle matière, même la moins palpable. Le microscope a été le début d’une fascinante révolution qui est loin d’être finie. Le vide se remplit, l’antimatière est aussi importante que la matière. Ces techniques scientifiques sophistiquées bouleversent les représentations du réel et finissent par influer sur le travail artistique, y compris musical, qui va composer des œuvres jouant avec l’invisible, l’infiniment petit ou le détail démesurément grossi, devenant monde à lui tout seul.

La musique spectrale, grâce à l’informatique qui permet d’isoler et d’individualiser des fragments de son que l’oreille ne distingue pas naturellement, ouvre l’écriture à d’infinies nuances. Les sons se diffractent, le bruit est comme génétiquement modifié, cloné, et le vocabulaire sonore s’élargit considérablement. Toutes les sources sonores, nombreuses et disséminées, galaxie bruitiste et musicale de l’environnement industriel et hyper-industriel, sont passées au scanner. Les ampoules électriques, par exemple, elles éclairent, certes, mais elles chantent aussi. Le flux sonore est partout et diversifie ses sources : est-il vrai que les plantes dégagent une énergie que l’on peut transformer en musique ? Essayons ! Toutes les ondes sonores qui circulent au-dessus de nos têtes, messages codés, musiques des sphères, esprits de passage, manifestations paranormales, sont captées, enregistrées et éditées comme des œuvres abstraites à décrypter… Une nouvelle manière de réfléchir les sons, particules infimes qui traversent nos tissus organiques et voyagent dans l’univers, renouvelle nos schémas cognitifs auditifs.

Les musiques, les sons tracent leur chemin de plus en plus par les ordinateurs, se numérisent en cheminant dans des processus complexes de transformation. Quelles sont les traces laissées dans ces mémoires machiniques ? Quel est le son pur des signaux informatiques qui codent la musique ? Comment l’ordinateur peut-il lui-même, presque de manière indépendante, comme en science-fiction, produire des propositions musicales à partir de ce que l’homme y injecte (lettres, chiffres) ? Tout ça est exploré frénétiquement, les horizons reculent…

Les supports tels que microsillons ou CD s’abîment, subissent des impacts involontaires de la part des manipulateurs. Ces altérations se développent comme des parasites-commentaires révélant, par dérapages, ce qu’en général on n’entend pas. L’accident, le discontinu. Des créateurs s’emparent de ces failles et vont plonger dedans, en tirer une esthétique à part entière, faire chanter les musiques cassées, au plus près des entrailles technologiques. Fibre par fibre.