Gérard GRISEY

  • ESPACES ACOUSTIQUES (LES) (FG8821) écouter

Héritier de l’impressionnisme (cette vague sensuelle portée depuis Debussy) et des recherches les plus avancée dans le domaine de l’acoustique (celles, notamment, examinant par le biais de l’informatique les éléments constituants, la chair du son), la musique spectrale aura été le courant musical français le plus significatif de la fin du XXe siècle, incarné comme personne d’autre par Gérard Grisey.

Débuts atypiques pour Gérard Grisey (1946-1998), qui s’est tout d’abord distingué à travers la pratique de l’accordéon, instrument où il excellera durant l’adolescence. Plus tard, ce seront le Conservatoire de Trossingen (1963-1965), le Conservatoire de Paris (1965-1972) parallèlement à la participation aux séminaires mis en place par Stockhausen et Xenakis à Darmstadt, qui lui permettront de parfaire sa formation musicale classique. Mais c’est en compagnie de membres du groupe Itinéraire fondé notamment par le compositeur et philosophe Hugues Dufourt que son attention se portera plus précisément sur l’étude du phénomène sonore, de sa génération aux multiples jeux que permet la manipulation de ses composants. Une méthode de travail se dessinera qui, bon gré mal gré, sera portée par le terme de spectralisme : le compositeur s’attachera, après examen spectographique des propriétés harmoniques du son que permettent les progrès informatiques, à façonner le cœur de la matière sonore, devenue ici le matériau de base de la composition. Ces propriétés, étirées, manipulées et combinées dans le temps de la composition, confèrent à chaque œuvre son sens propre. Le spectralisme « envisage les sons, non pas comme des objets inertes que l’on peut permuter arbitrairement dans toutes les directions, mais comme des objets doués d’une vie propre : naissance, vie et mort. » L’objet sonore se réalise à travers sa configuration dynamique à présent dévoilée sur le plan de la composition. Naît ainsi une « poétique de l’énergie sonore » née des changements apportés dans les mentalités par la technologie et la lutherie électronique, comme l’avance Hugues Dufourt. « La sensibilité auditive s’est pour ainsi dire retournée. Elle ne se soucie plus que de minimes oscillations, de rugosités, de textures. La plasticité du son, sa fugacité, ses infimes altérations ont acquis une force de suggestion immédiate. Ce qui prévaut désormais dans la forme du son, c’est l’instabilité morphologique. Elle seule revêt une valeur significative. »

Si le corpus d’œuvres que nous laisse Gérard Grisey est assez restreint, l’une d’elles, Les Espaces acoustiques, offre à plus d’un titre un point de vue irremplaçable d’un projet artistique général, formulé et expérimenté au fil des compositions et des essais théoriques. Commencé en 1974 et achevé en 1985, ce vaste cycle comprend six parties allant de la pièce pour instrument solo (Prologue) pour finir avec un grand orchestre . C’est sur ce plan instrumental à l’effectif croissant que Gérard Grisey prendra appui afin d’explorer de façon méthodique et très lisible différentes techniques spectrales appliquées sur l’analyse d’un son : un mi grave joué au trombone et dont sont détaillés les différents composants (la fondamentale et les harmoniques). Toutefois, cette déclaration de foi à l’adresse du son au détriment de la note n’acte pas une rupture radicale avec le passé et, malgré son caractère aventureux il ne nous semble pas hardi de tenter de rapprocher l’art orchestral de Grisey de toute une tradition coloriste et sensuelle typiquement française, allant de Debussy aux pièces incandescentes de Messiaen. Détaillons-en la poétique et la technique propre à chaque pièce par le menu.

Prologue : Dans cette pièce destinée à un alto seul, un motif (ou cellule) mélodique esquissé durant les premières mesures, se détache, au fil de ses exécutions répétées, de ce qui la fonde (la note, la mélodie) pour se désarticuler autour d’un spectre harmonique (le mi). Un fantôme, une « silhouette » de mélodie, laissant échapper son fumet plutôt qu’une forme précise s’imprime dans la psyché de l’auditeur.

Périodes : Dans la continuité de la pièce précédente, entrée en scène de nouveaux instruments (flûte, clarinette, trombone, violon, violoncelle et contrebasse) qui enveloppent l’alto dans son spectre d’harmoniques pour s’en éloigner progressivement. Périodes car les relations entre les instruments et le spectre harmonique « mi » engendre un rapport dynamique proche du rythme respiratoire : inspiration (augmentation progressive de la tension), expiration (relâchement progressif de celle-ci) et phase de repos.

Partiels et Modulations : L’ensemble passe à présent à dix-huit musiciens pour Période et trente-trois musiciens pour Modulations. Si les acquis de Prologue (le spectre de mi) et Périodes (la dynamique respiratoire) sont maintenus, l’écriture explore plus avant les jeux avec les sons par le biais de la synthèse instrumentale permettant, par l’analyse des spectres harmoniques et inharmoniques (composé de partiels, propre aux instruments percussifs) des timbres synthétiques inventés. Les sources sonores se perdent dans un maelström sonore laissant se dégager tous les types de spectre, jusqu’au bruit blanc.

Transitoires : Les obstacles formels ayant été franchis lors des étapes précédentes, c’est au tour d’un grand orchestre de plus de quatre-vingts musiciens d’affronter le territoire du son pour une « symphonie spectrale » occupant tout l’espace sonore et s’achevant, en guise de réminiscence au Prologue, par une fine mélodie jouée à l’alto.

Épilogue : Alors que l’alto tente de poursuivre les spires sonores déployées lors du Prologue, une attaque de cors contrecarre l’entreprise pour la diluer au sein de l’orchestre dans un « processus d’entropie qui érode peu à peu le système ouvert par les Espaces acoustiques ». Le « mi », le son au départ de l’œuvre, aura, au terme d’un voyage de deux heures à travers les Espaces acoustiques, été mis à nu et finalement dispersé et absorbé par sa propre substance.

(Jacques de Neuville)


(2005) MEDIAQUEST

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GRISEY, Gérard
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