ANIMIST ORCHESTRA


Le concept de musique microscopique/macroscopique, l’idée d’écoute minutieuse et de détails agrandis, semblent être liés à la technologie, voire à la technologie récente. De nombreuses versions de cette approche réclament en effet l’intervention de matériel de prise de son sophistiqué, l’usage de traitements a posteriori de ce son, une haute-fidélité à toutes les étapes du processus. Simplement, même, on semble considérer que cette musique est forcément un enregistrement, suivi d’une diffusion. Elle paraît nécessiter une amplification et un stade technicien entre la source et l’auditeur. Elle semble inévitablement relever du disque et non de la performance. C’est bien sûr le cas de nombreuses musiques de ce type. Le field-recording par exemple, est nécessairement une transposition d’un espace à un autre, de l’espace réel à celui de l’écoute ; les musiques ultra-minimalistes d’un Ryoji Ikeda ou d’un Main sont le résultat d’une production ou d’un traitement technologique.

L’Animist Orchestra de Jeph Jarman est un contre-exemple. Il est entièrement tourné vers la performance et vierge de toute ingérence technique. L’orchestre a commencé à jouer en 1999 et était à l’origine composé d’Eleanor Gallagher, Dave Knott, Mike Shannon, Jeffery Taylor, Robert Millis et Jarman lui-même. Ce dernier avait derrière lui une carrière bien remplie sous le nom de Hands To, le one-man-band qu’il avait formé en 1986. Sa musique était alors basée sur le sampling et le field-recording, et avait évolué progressivement vers des enregistrements ne comportant plus aucune manipulation électronique, d’une part, et, d’autre part, vers un travail autour de la manipulation d’objets trouvés, de préférence des objets naturels : pierres, coquillages, plumes, os, feuilles, bois, etc. C’est ce travail qui lui donnera l’idée de monter l’Animist Orchestra, après un certain temps passé à définir et à formuler les concepts que le groupe allait appliquer. Le premier point était que tous les membres de l’orchestre allaient ainsi jouer avec des objets naturels, et des instruments construits avec ces objets. Les autres points ont ensuite découlé des répétitions du groupe, comme l’idée de jouer sans ego, presque sans présence humaine, et de créer un son tel qu’il aurait été produit par le hasard, par la nature elle-même. Le jeu devait autant que possible être dépourvu de l’idée de « jouer de la musique » ou d’être pour les musiciens une façon de s’exprimer.

Proche à la fois des théories de John Cage et de plusieurs concepts bouddhistes, comme celui de l’inaction consciente ( le wei wu-wei du titre), la musique du groupe est destinée à se fondre dans son environnement sans s’y opposer, sans l’écraser ni l’occulter, mais en le laissant au contraire intervenir naturellement. Depuis sa création, l’orchestre a connu plusieurs incarnations, avec ou sans Jarman, et a quelquefois compté jusqu’à dix-neuf participants. Ses concerts sont des performances d’écoute, demandant au public de prendre autant en compte les sons ambiants dans ou autour du lieu de concerts, que les sons ténus, minuscules, presque imperceptibles, que produisent les musiciens. Résolument non spectaculaires, ces performances peuvent toutefois devenir des moments magiques, des moments de grâce, lorsque tous les éléments, les musiciens, le public et les sons alentour, se fondent en un seul paysage à la dérive.

(Benoit Deuxant)


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