îlot

Aleas

La musique occidentale savante a élaboré une représentation universelle du monde sensible, centrée sur une notion d’individu rationnel. Les connaissances sur l’origine du vivant, sur l’évolution de l’univers et le fonctionnement du cerveau discréditent les thèses d’un centre décideur. La fragilité et le doute poussent à reconsidérer l’importance des autres cultures et l’influence de l’invisible (trous noirs, antimatière). Une grande relativité de ce en quoi consistent « savoir » et « beau » ouvre les processus de composition. L’homme est loin de maîtriser tous les tenants et aboutissants de ses actes créateurs, ceux-ci le mettent en contact avec l’impensé, l’incontrôlable, le mystère des origines. L’artiste, alors, joue avec le hasard.

La première voie est celle de l’hétérogénéité qui marie un héritage occidental et une écriture symbolique orientale, confronte une rationalisation de structure à la spontanéité de l’expression pour des chocs remarquables entre les différents hémisphères culturels.

Des artistes sollicitent de multiples accidents et imprévus, apprennent à jouer avec les défauts et vices de forme, notamment en intégrant dans les instruments conventionnels des corps étrangers qui détournent la virtuosité et des dispositifs décisionnels autonomes qui donnent l’impression que la maîtrise de l’homme sur son art lui échappe en sonorités et messages « venant d’ailleurs ». Plus l’homme engendre des machines et des prothèses pour faire de la musique, plus le champ des défectuosités techniques ou technologiques s’élargit et, ainsi, les utilisations détournées de l’informatique, tant le hardware que le software, se multiplient, selon une perspective « les machines prennent le pouvoir sur le cerveau musical de l’humanité » !

Les musiciens d’un ensemble sont amenés à jouer d’instruments dont ils ne connaissent pas la technique, d’où l’émergence, dans la trame musicale, de couacs, approximations, hésitations, improbabilités, fictions fragmentées. Créations qui vont de pair avec une disposition nouvelle des individus musiciens dans l’espace musical comme de simples molécules cherchant à retrouver les premiers états gazeux de la musique, quand tout est encore possible au niveau de son organologie. C’est ainsi que le concept d’improvisation qui a toujours flirté avec l’aléatoire, mais en fonctionnant sur des canevas préconstruits et personnalisés, teste des modalités de plus en plus « immédiates » impliquant de se confier à des états d’esprit strictement liés à l’instant et à l’intuition, sans chercher à projeter un discours musical dans l’avenir. Il ne peut plus y avoir ni début ni fin, tout est toujours en train de se transformer, sans que l’on puisse en prévoir la direction…

Des formules mathématiques vont se transformer en partitions, ce qui accentue la crise du libre-arbitre artistique mais aussi excite le fantasme que la musique a des significations cachées, en connexion avec les numérologies les plus audacieuses ou avec les langages scientifiques les plus à même de percer le mystère de l’univers.

À l’inverse, la distance élargie par le hasard entre l’intention du créateur et l’œuvre finie conduit certains à fluidifier toutes directives dans des partitions graphiques. Des écritures dessinées figuratives ou de nouvelles abstractions à décoder, des symboles personnalisés à interpréter, la subjectivité est aussi importante que la technique.

Les écritures s’ouvrent et se multiplient de manière à renouer avec l’impensé de l’aventure musicale.