ZEITKRATZER

  • MORT AUX VACHES - RANDOM DILETTANTES (UZ4006) écouter

Comme l’indique son titre, ce disque est doublement dédié au hasard. Tout d’abord dans l’approche première du jeu où, à l’instar du Portsmouth Sinfonia de Gavin Bryars dans les années 1970, l’ensemble Zeitkratzer a demandé à ses membres d’échanger leurs instruments, chacun recevant en échange de celui qu’il maîtrise généralement un autre qu’il devait maîtriser le moins possible. Mais là où l’orchestre britannique continuait à s’appuyer sur une partition, reproduisant, quoique à sa manière, les incontournables de la musique classique, Zeitkratzer utilise ce procédé osé – hasardeux ? – pour mieux explorer les possibilités de chaque instrument. Privé des réflexes de jeu « normal » provenant d’une réelle connaissance de ces instruments, les musiciens ont pu au contraire explorer ceux-ci comme des objets sonores, les examinant, les auscultant, afin d’en inventorier toutes les capacités, toutes les possibilités, tout le potentiel. L’ensemble a enregistré ensuite une cinquantaine d’improvisations, sans structures définies, qui ont été mises bout à bout pour constituer ce disque, sorti sur l’excellent label Mort aux vaches. Ce premier niveau de confiance et d’investissement dans le hasard rappelle bien évidemment les propositions théoriques de Brian Eno, qui avaient déjà influencé la démarche du Portsmouth Sinfonia. Eno se proposait de donner une place plus grande dans la musique au dilettante, au non-musicien, et désirait remplacer les « techniciens de la musique » par des artistes créatifs, des aventuriers, débarrassés des blocages provoqués par l’éducation académique, et la trop grande familiarité avec une matière, un répertoire, ou un instrument. Donnant l’exemple lui-même, il voulait réintroduire dans la pratique musicienne la fraîcheur du jeu, l’aspect ludique et candide de la découverte. Les douze membres de l’ensemble Zeitkratzer sont coutumiers de ce genre de défis, de gageures, et se sont régulièrement frottés, par-delà le répertoire contemporain de John Cage, James Tenney ou Iannis Xenakis qu’ils pratiquent généralement, à des collaborations plus inhabituelles, avec des compositeurs comme John Duncan, Terre Thaemlitz ou Carsten Nicolai. Le collectif allemand, dirigé par le pianiste Reinhold Friedl, se compose d’individualités issues d’horizons divers, provenant de la scène de l’improvisation, de la musique classique, de la musique électronique, etc. Tous ces apports, toutes ces contributions transversales enrichissent le travail de Zeitkratzer et en font un des ensembles contemporains les plus intéressants du moment.

L’autre invocation du hasard dans ce disque tient dans la demande qui est faite à l’auditeur de l’écouter dans le désordre, en utilisant la fonction random ou shuffle de sa stéréo. En effet, bien que le disque soit lisible comme une pièce continue, il peut fonctionner dans un ordre aléatoire, chaque écoute recombinant ainsi les cinquante pièces du CD de manière nouvelle. Ce processus, souvent utilisé dans le contexte de l’installation sonore, permet de multiplier les variations sur une base donnée et d’exploiter au maximum les possibilités d’arrangements spontanés des fragments musicaux. Reproduit ici dans le contexte domestique, il offre un cadre nouveau, chaque fois différent, à chaque section d’improvisation, comparant entre elles les approches, les textures, et provoquant arbitrairement contraste ou harmonie, accord ou confrontation.

Benoit Deuxant



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