MUSIC IMPROVISATION COMPANY (THE)

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L’auteur en solitaire de nombreux disques de référence que fut le guitariste Derek Bailey aurait donc eu besoin, un jour, de Company ? Ce projet fit appel à des musiciens qu’il trouva notamment auprès du batteur John Stevens (Spontaneous Music Ensemble) au Little Theatre de Londres à la fin des années 1960 dont fut le saxophoniste Evan Parker, premier de tous ses partenaires si ce n’est son égal en termes d’inspiration capable de belles choses nées toujours sur l’instant… Pour se faire une idée de l’expérience, se reporter à un disque : The Music Improvisation Company 1968-1971 (puisque c’est entre ces deux années que la collaboration aura couru sans jamais s’essouffler).

Un aperçu de l’activité superbe d’une formation composée aussi du percussionniste Jamie Muir et de l’électronicien inventeur d’instruments Hugh Davies. Quatre hommes, donc, encore et toujours ; mais cette fois quatre manières d’estimer l’improvisation et surtout les sonorités susceptibles de la défendre au mieux. Libre, autant que faire se peut, cette improvisation-là : qui refuse dans l’idée tout geste préconçu, toute référence presque… À en croire la présente rétrospective – éditée sur Incus, label né de l’association de Derek Bailey, Evan Parker et Tony Oxley –, la Music Improvisation Company aurait réussi à illustrer parfaitement toutes ses intentions anticonventionnelles.

En seulement six pièces sonores, qui plus est. Les quatre premières, enregistrées en 1969 (en mono) ; les deux autres, enregistrées l’année suivante (en stéréo) : les mois de distance n’ayant ni anéanti la ferveur du discours ni endormi les passions qui l’auront transformé en ouvrage remarquable d’intensité. Alors, 1969. « Pointing » : soulèvement lent puis passes d’armes à souffles (saxophone soprano de Parker) et cordes (guitare électrique de Bailey), touches multiples sur les reliefs accidentés dessinés par Davies et chutes aussi nombreuses qui revendiquent des durées de vie toujours augmentées. « Bedrest » : harmoniques de guitare étendues pour toute contenance avant que Parker, Muir et Davies sonnent l’heure des déferlantes. Deux morceaux sans titre, enfin. « Untitled 3 », sur lequel Parker passe à la harpe étrange et Davies à l’orgue discret, s’agissait-il de faire moins de bruit que le monde environnant pour ne pas déranger la concentration de Bailey qui fouille en concentré à l’intérieur de sa demi-caisse ? « Untitled 4 », au rythme plus cadré : Muir menant la danse avec un art supérieur avant que le quatuor décide d’investir le champ d’un free jazz régénéré sans cesse par la mécanique infaillible du soprano. Et puis, 1970. Et puis, la stéréo qui change la donne mais n’empêche pas Bailey d’interroger sur un titre à rallonge (« Its Tongue Trapped to the Rock by A Limpet, the Water Rat Succumbed to the Incoming Tide ») sa guitare en sourdine : des frottements s’extirpe un larsen changé ensuite en bourdon imposant, Parker vitupérant à intervalles réguliers sur les grands coups distribués par Muir. Libéré de toute contrainte, The Music Improvisation Company signe huit minutes virulentes à l’intérieur desquelles pas une seconde n’exagère – le cas était jusque-là assez rare et a même été assez peu rencontré depuis. Enfin, « In the Victim’s Absence » en guise de conclusion : la guitare de Bailey sature à peine mais Davies s’empare aussitôt du vide et le charge de râles électriques. L’intention irait donc crescendo et la déconstruction serait plus radicale pour aller voir encore davantage du côté électrique des possibilités. L’artifice technologique au service de l’art brut.

The Music Improvisation Company 1968-1971 : la rétrospective est donc indispensable, au point de poser la question de l’utilité de certains des enregistrements qui lui succéderont dans le domaine. Plus la date d’enregistrement d’un disque est éloignée de celle de notre écoute, plus grande est la tentation d’estimer que tout y était « déjà ». Or, si tout y était « déjà », tout y était aussi « différent » : parce que l’ouvrage né d’improvisations collectives est le fruit d’une époque et puis d’autant de visions de celles-ci qu’on y entend d’intervenants. Les propositions sont donc multiples et les résultats de leurs combinaisons ne rivalisent plus qu’en vertu de l’idée de « qualité » : « qualité » dont le standard pourrait bien épouser les formes de The Music Improvisation Company 1968-1971.

Guillaume Belhomme



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