Marcel DUCHAMP

  • ENTIRE MUSICAL WORK OF MARCEL DUCHAMP (ED8302) écouter

« La mariée mise à nu par ses Célibataires même. Erratum musical. Chaque numéro indique une note ; un piano ordinaire contient environ 89 notes ; chaque numéro est le numéro d’ordre en partant de la gauche. Inachevable ; pour instrument de musique précis (piano mécanique, orgues mécaniques, ou autres instruments nouveaux pour lesquels l’intermédiaire virtuose est supprimé) ; l’ordre de succession est (au gré) interchangeable ; le temps qui sépare chaque chiffre romain sera probablement constant (?) mais il pourra varier d’une exécution à l’autre ; exécution bien inutile d’ailleurs ; appareil enregistrant automatiquement les périodes musicales fragmentées. Vase contenant les 89 notes (ou plus : 1/4 de ton), figures parmi les numéros sur chaque boule. Ouverture A laissant tomber les boules dans une suite de wagonnets B, C, D, E, F, etc. Wagonnets B, C, D, E, F, allant à une vitesse variable recevant chacun 1 ou plusieurs boules. Quand le vase est vide : la période en 89 notes (tant de) wagonnets est inscrite et peut être exécutée par un instrument précis. Un autre vase=une autre période=il résulte de l'équivalence des périodes et de leur comparaison une sorte d’alphabet musical nouveau, permettant des descriptions modèles (à développer) » Marcel Duchamp, Duchamp du signe.

Durant un siècle dominé par les révolutions, peu de créateurs ont autant changé les choses que Marcel Duchamp. Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? Est-ce que l’idée de cette dernière prime sur sa réalisation technique ? Ces questions essentielles nous ont en partie été léguées par l’inventeur du ready-made. De la moustache de la Joconde à la Fontaine en passant par La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, la plupart des créations de Duchamp font partie de l’iconographie emblématique du XXe siècle. Un aspect moins connu de son travail réside dans sa contribution à la désintégration de la musique en tant que système « organisé ». Dès les années 1910, il manifeste son intérêt pour le hasard en tant que principe de composition. À peine ébauchées à l’époque, ces instructions pour élaborer des partitions constituent la première étape qui mènera aux œuvres aléatoires de John Cage. Ce dernier écrira d’ailleurs Music for Marcel Duchamp en 1947.

En 1913, Duchamp conceptualise Erratum musical et La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, du nom d’une de ses réalisations les plus célèbres. Pour la première, conçue pour trois voix, Duchamp écrit la partition sur trois portées en se basant sur vingt-cinq nombres, correspondant à autant de notes, qu’il a pêchés dans un chapeau. Les trois chanteurs interprètent selon ce canevas le texte « Faire une empreinte marquer des traits une figure sur une surface imprimer un sceau sur cire », c’est-à-dire la définition du verbe imprimer dans le dictionnaire. Par sa méthode d’écriture stochastique, cette œuvre, qui implique l’effacement du compositeur, engendre en parallèle un grand nombre de possibilités quant à la succession de notes, et donc de mélodies.

Le titre de la seconde œuvre laisse entendre que La Mariée devait à la base intégrer des éléments musicaux. La procédure, décrite par Duchamp lui-même dans le texte cité ci-dessus, entraîne elle aussi un grand nombre de possibles. Par ailleurs, Duchamp met l’accent sur l’abandon de l’interprète et la mécanisation du jeu. Un des objectifs de l’artiste est de retirer le contenu expressif de la musique. Là, il rejoint Erik Satie, une autre influence majeure de John Cage, et sa « musique d’ameublement ».

Si les recherches sonores de Marcel Duchamp répondent parfaitement à la volonté de destruction des normes propre à Dada, elles peuvent également être lues comme une réaction à la surexposition du sentiment du romantisme finissant et comme une préfigure géniale de diverses entreprises musicales essentielles du siècle. Ces deux œuvres ont été enregistrées en 1976 par le SEM Ensemble dirigé par Petr Kotik (Ampere). Erratum musical a été étudié et rendu dans une version fascinante par le pianiste Stéphane Ginsburgh en 2000 (Sub Rosa).

Alexandre Galand



Artists

DUCHAMP, Marcel
0