CORTET (THE)


À un endroit de l’îlot, un assemblage de ficelles de couleurs intrigue. Tendues, reliées par une vingtaine de pointes, elles composent une construction minuscule qui atteste le passage de l’homme. De quatre hommes, pour être exact : Cor Fuhler, Rhodri Davies, John Butcher et Thomas Lehn. Sous le nom de The Cortet – la promesse, peut-être, d’un quartette acoustique d’improvisation hardcore –, l’association a bien existé un jour : HHHH le prouve, disque dont la pochette montre ce même assemblage. Ficelles de quatre couleurs, qui pourraient ainsi évoquer les forces en présence : très bien pour les cordes du piano de Cor Fuhler – d’autant que celui-ci avait mené plus tôt un groupe du nom de Corkestra – ou celles de la harpe de Rhodri Davies, mais quid des saxophones ténor et soprano de John Butcher et du synthétiseur analogique de Thomas Lehn ?

L’analyse de bouts de ficelle ne donnant rien, tenter alors de revendiquer un H par improvisateur : H comme Histories peut être, celles de quatre musiciens aux parcours hors normes, ayant chacun fait ses armes à coups de rencontres triées sur le volet ou d’interventions en grands ensembles : Instant Composers Pool de Misha Mengelberg et New Jazz Orchestra d’Otomo Yoshihide pour Cor Fuhler ; Chris Burn Ensemble ou Company de Derek Bailey pour Rhodri Davies ; Spontaneous Music Ensemble de John Stevens ou Orkhiste de Radu Malfatti pour John Butcher ; et puis les workshops de Gunter Hampel ou George Russell pour Thomas Lehn, qui put ensuite venir grossir la liste d’improvisateurs inspirés sévissant en Europe. Bref : quatre improvisateurs réunis en Cortet qui ont joué avec mille autres qu’eux et puis parfois ensemble déjà.

Présentations faites, reste à aller fouiller les cinq pièces qui composent HHHH : morceaux intitulés « HL », « RH », « TH », « HN », « CH ». Cinq beaux et grands airs d’une improvisation électroacoustique qui n’attend pas pour donner les preuves de son intensité : les pratiques instrumentales, étendues ou étouffées composent dans la mesure des pièces d’atmosphères inquiètes à coups de souffles en peine et de chocs violents, de notes claires mais courtes toujours, de chants inespérés et d’appels inefficaces, de miniatures de cristal et de lignes de fuite qui leur sont nécessaires – si l’ensemble est bien évidemment abstrait, les instruments n’ont pas encore disparu et chacun se fait entendre de façon reconnaissable. Pour organiser ou désorganiser le tout, les répétitions du piano préparé de Fuhler dévient sans cesse de leur axe et la harpe mise en pièces de Davies enveloppe de ses râles derniers le discours de délicatesses consigné partout sur HHHH.

Après ce genre d’écoute, qui court encore derrière les preuves et les images pourra bien discerner les reliefs de beaux paysages et, au creux de ceux-ci, peut-être d’autres empreintes ou traces d’activité quatre fois humaine qui échappent au réel et encore plus à l’habitude que nous avons prise de tout penser en termes de cause et de conséquence. Les gestes de The Cortet ne sont justement ni causes ni conséquences. Pour cela même, il est inutile de venir à HHHH avec en tête l’idée d’y trouver des repères ou celle d’espérer s’y faire un espace à soi et rassurant. Malgré tout, l’auditeur passé une première fois par là exprimera rapidement le désir d’y revenir, de retrouver les quatre mêmes – Fuhler, Davies, Butcher, Lehn – le perdre une autre fois. Qu’il y revienne, et alors il verra : que les lignes ont encore bougé depuis sa dernière visite du gigantesque assemblage et qu’il est – et sera toujours – la seule et unique preuve à y trouver d’un concret figé sur place.

Guillaume Belhomme



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