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Insolutherie

Insolutherie, ou la contraction de insolite voire insolent, et lutherie. Il désigne des musiciens, des compositeurs, des chercheurs, des artistes, des amateurs, des luthiers et des facteurs d’instruments, issus d’horizons variés, avec pour trait commun cette manière de développer un(des) instrument(s) de musique unique. Insolutherie ne définit ni un genre ni un style de musique, mais s’axe sur l’instrument de musique singulier, son origine, ses filiations, et globalement sur la raison qui motive tel ou tel individu à concevoir son instrument “propre”, aux sons personnalisés. Du simple hobby à la nécessité, différents degrés d’investissement sont rencontrés.

Soit absents, soit relégués à la rubrique « divers » des classements organologiques (systèmes de classements d’instruments de musique), ou, dans le meilleur des cas au rayon « lutherie sauvage » largement popularisée en Belgique par Max Vandervorst depuis la fin des années 80, voire encore sous l’appellation floue « lutherie expérimentale », ces instruments considérés comme curiosités sonnantes font rarement l’objet d’études attentives. Passant pour de simples trublions sympathiques, rarement pris au sérieux, ils sont pourtant la manifestation d’une créativité vivante, en perpétuelle mutation, mais surtout ils sont le reflet d’une société où la libre pensée est toujours de rigueur. Redéfinissant ainsi la place de la créativité dans notre société, donnant la parole aux « gaffophonèsques »*, bruitophones et autres empêcheurs de tourner en rond, insolutherie tente, modestement, de créer l’organe culturel (concerts, expositions, conférences, site internet dédié, discographie) pour désenclaver ces créations de leur destinée trop souvent confidentielle (l’envie m’anime depuis quelques années de créer un festival dédié à la création d’instruments de musique nouveaux).

On rappellera sur ce point qu’en 1846, date à laquelle il fut breveté, le saxophone était une curiosité. La fabrication en série passe par le prototype. L’apparition de la nouveauté résulte bien souvent d’une synthèse de choses existantes, s’inscrivant dès lors dans un rapport à l’histoire. C’est le cas du saxophone, hybridation de ses prédécesseurs clarinette, saxhorn et ophicléide. Insolutherie traite quelques cas historiques avec le recul sur le passé, avec cette conscience de l’histoire, montrant parfois l’instrument de musique comme une balise temporelle. Peut-être tenons-nous dans ce repérage actuel l’équivalent du saxophone de demain… !

Les récentes évolutions en matière de technologie, avec l’arrivée des interfaces musicales (contrôleurs MIDI, programmes informatiques), bouleversent les codes de l’instrument de musique. Qu’est-ce qu’un instrument de musique au final quand tout est reconfigurable ? Un stylo à bille, une tasse de café, le corps humain, un extincteur d’incendie, une ville tout entière ou un aquarium rempli de mouches. Autant de cas rencontrés qui interrogent les limites. Le métaphone, récemment inauguré dans le nord de la France, constitue le premier bâtiment-instrument de musique de l’histoire, entendu et conçu comme tel. On pourra s’interroger dès lors sur la musicalité voire l’acoustique d’autres bâtiments déjà existants, cathédrales, halls de gares… Insolutherie piste et interroge ces cas limites, dessinant une frontière mouvante, ouverte aux nouvelles propositions repoussant sans cesse les formes du possible.

Pour éviter toute position douteuse sur la notion d’insolite, le chapitre passionnant des instruments de traditions dits « ethniques » est ici laissé de côté, mais compte néanmoins dans une telle approche des instruments. Le rêbab afghan, l’angklung ou le khene, insolites pour bon nombre d’entre nous, ne le sont pas dans leur contexte d’origine. Le théorbe, pour citer un instrument ancien européen, fait l’objet d’études encore aujourd’hui.

Les rapports insoupçonnés des musiciens à leurs inventions montrent, à travers des interviews, des fiches-instruments, des articles, des conférences, des concerts, …, la richesse des concepts, la profondeur des réflexions et l’ingéniosité requise à de telles réalisations, qui bien souvent n’apparaissent pas de prime abord. C‘est dans ce réseau fragile de créations singulières qu’insolutherie élabore son terrain d’investigation.