Quelque part, au Havre, au fond d’un garage, une machine étonnante fabrique de la musique à partir de la cacophonie des ondes hertziennes. Appareil unique, mélange de technologie et de poésie, le filtre de réalité a été entièrement conçu et réalisé par Jacques Brodier. Il se nourrit des ondes radios captées par ses antennes et en utilise les vibrations pour faire résonner une série de cordes. Il ne possède pas de clavier, mais est au contraire contrôlé par un modulateur optique réagissant à la lumière et à l’ombre.
Parcourant la planète par rebond, les transmissions radiophoniques nous parviennent réfléchies par l’ionosphère, dont la surface irrégulière les déforme et les module, les parasitant quelquefois, les mélangeant souvent. Elles nous reviennent comme un crépitement, un nuage que Brodier qualifie de « stochastique », en un chaos au rythme lent, variant selon les saisons, selon l’alternance du jour et de la nuit. Ces différents cycles combinant bruit brut et communication humaine, rayonnement solaire et champs magnétiques de tous ordres, une fois aspirés par la machine, sont ensuite « filtrés » et transformé en un écheveau harmonique, une tapisserie sonore complexe qui garde encore imperceptiblement la trace de son contenu langagier, le souvenir de son origine dans l’activité de l’homme. En les additionnant ainsi et en les sculptant par le biais de ses photodiodes, Brodier tire du tumulte de la Babel radiophonique une nouvelle vision de la réalité, dépassant les barrières de langue, d’idéologie, d’opinions. Œuvre de toute une vie, le filtre de réalité ne répond qu’à son créateur.
(Benoit Deuxant)