David TUDOR


Figure majeure des musiques expérimentales des années 1950 et 1960, David Tudor (1926-1976) fait partie de ces artistes qui ont le plus œuvré à l’éradication de la frontière entre interprète et compositeur. D’abord joueur d’orgue professionnel, il s’émancipe du cadre de l’Église, notamment à cause de son goût pour la musique contemporaine. Ce n’est donc que passé ses vingt ans qu’il apprend le piano. Très vite pourtant, son talent fait de lui un des interprètes favoris de l’avant-garde. Il assure ainsi la création de la Sonate n°2 de Pierre Boulez (1950), tandis que Karlheinz Stockhausen compose à son intention le Klavierstück IV (1955).

Ses relations avec John Cage sont peut-être les plus fructueuses. C’est avec lui qu’il sort peu à peu de son rôle d’interprète, en influençant notamment le concept d’indétermination prôné par le compositeur iconoclaste. Pour Cage, il crée ainsi Music of Changes (1951).

Malgré son rôle privilégié auprès des compositeurs phares de ces années-là, il se désintéresse du piano pour se passionner pour les dispositifs électroniques. En 1964, il participe à une performance de Robert Rauschenberg pour laquelle il amplifie plus de deux cents lampes fluorescentes. Ce travail, et d’autres qui suivront, l’amènent à deux idées directrices. D’une part, les haut-parleurs peuvent devenir des instruments et d’autre part, un monde sonore peut être généré sans impulsion extérieure au sein d’un système électronique. Tudor parvient à ce but en faisant par exemple vibrer des objets auxquels de petits haut-parleurs sont attachés.

Les différentes versions de Rainforest laissent entendre (et voir) une œuvre en perpétuelle expansion. En 1968, le chorégraphe Merce Cunningham, avec qui Tudor collabore depuis 1953, prépare un spectacle inspiré de ses souvenirs d’enfance et de l’expérience de Colin Turnbull parmi les Pygmées de la forêt de l’Ituri (au Congo). Pour englober les danseurs dans un monde fidèle à sa vision, Cunningham charge Andy Warhol du décor scénique et Tudor d’une musique originale. Le premier prépare des coussins volants argentés gonflés à l’hélium, tandis que le second invente une installation composée notamment de haut-parleurs et de micros initialement conçus par l’armée pour entendre en même temps sous et au-dessus de l’eau.

Les chuintements, chocs répétitifs, sifflements et distorsions contrôlées que génère ce système électroacoustique évoquent l’environnement sonore de la forêt tropicale, avec ses gouttes et ses cris d’insectes. La charge poétique et l’audace technique de la pièce poussent Tudor à la travailler indépendamment du spectacle de danse. Dans ses versions ultérieures (notamment une fascinante élaborée avec Gordon Mumma et jouée en 1969 à la Cornell University, l’analogie avec la nature sera encore plus manifeste suite à l’utilisation de chants d’oiseaux et de cris d’insectes réels, ainsi que d’une multitude d’objets. Rainforest continue à intriguer et à être interprété de nos jours.

Alexandre Galand



Artists

TUDOR, David
0