Daniel MENCHE


Personnage-clé de la scène expérimentale, Daniel Menche est pourtant un solitaire, qui a choisi de rester en dehors du circuit, hors des feux des projecteurs, si toutefois l’expression peut s’appliquer à cette scène. C’est pourquoi il n’a jamais déménagé de sa ville natale, Portland, Or., pour s’installer comme il est coutume dans une capitale, ou simplement une ville plus grande. Il y poursuit au contraire sa carrière de musicien en marge de ses activités de bibliothécaire, gardant ses deux vies aussi cloisonnées que possible. Cette discrétion ne l’a pas empêché d’être ultra-productif, et de sortir plusieurs disques par ans, sur quelques dizaines de labels différents, et de collaborer avec de nombreux musiciens à travers le monde. Actif depuis le début des années 1990, (sans interruption excepté un petit intervalle de trois ans à la fin des années 90), il développe une musique basée sur l’exploration sonore de son environnement, réalisant des captations de son dans les forêts entourant sa ville, ou chez lui, ou encore en sollicitant le concours de la chorale de l’université où il travaille.

Son travail se définit plus en termes d’intensité, et d’énergie, qu’en termes de genre musical. Ni noise ni ambient, il est basé sur une organisation rigoureuse, un agencement méticuleux, de fragments sonores, tout en reproduisant la vigueur et l’exaltation directe des approches bruitistes traditionnelles. Son approche de la composition et de la performance se veut aussi physique que possible, et avant tout profondément émotionnelle. Il la décrit lui-même en parlant de véhémence, utilisant une imagerie – dans ses titres (_Blood Sand, Screaming Caress, Beautiful Blood, Jugularis, Bleeding Heavens, Body Melt_, etc .), et dans le graphisme de ses pochettes – basée sur une forme de violence paradoxalement calme, qu’il dit inspirée pour une part du Buto et pour l’autre de ses expériences personnelles, et qu’il place sous la marque symbolique du sang. Cette métaphore du sang, à la fois spirituelle, affective, intimement physique et personnelle tout en étant allégoriquement universelle, traverse toute son œuvre. Elle défini sa relation au son, de ses pièces les plus calmes à ses morceaux les plus extrêmes. Elle lui apporte l’intensité indispensable à la création et réaffirme la passion dont il fait preuve dans sa musique.

Ses méthodes de travail comme ses sources sonores sont extrêmement diverses, et ont grandement varié tout au long de sa carrière. Une partie d’entre elles sont extrêmement simples et directes, centrée autour de la manipulation de quelques objets –cailloux, brindilles…- trouvés au hasard de ses promenades, ou de son propre corps, en utilisant des micro-contacts et des enregistreurs bon-marchés, de faible qualité ; d’autres pièces encore utilisent des prises de sons, plus élaborées, de phénomènes naturels, parmi lesquels quelques unes des chutes d’eaux et des cascades les plus tumultueuses et bruyantes de l’Oregon.

Glass Forest a été annoncé comme le dernier CD de Daniel Menche, qui a décidé d’éditer ses futures productions exclusivement sur vinyle. Enregistré en 2005, c’est un album au titre évocateur, suggérant un paysage fantasmagorique, chaotique, extrêmement dense. Il suscite des images de fragilité, d’un éclat somptueux pouvant se briser à tout moment, et devenir fracas et bris de verre tranchants. C’est ce même équilibre instable qu’on retrouve dans la musique de cet album, situé à égale distance entre les pôles opposés, bruitistes, violents, ou au contraire atmosphériques, presque sereins, visités par les autres disques du musicien. La violence est ici assourdie, sismique plus que frontale. Comme il en a coutume, Menche brouille la distinction entre drone et percussion. Partant d’une impulsion souterraine, d’une vibration sourde, il met en mouvement des douzaines de micro-événements qui entrent et sortent de notre champ de perception. C’est ici le mouvement, l’agitation et la vitesse qui construisent l’aspect statique, enveloppant, de la musique et qui permet l’impression d’immersion. On y ressent le même envoûtement que lorsque le son, dans un train, se fait bercement malgré la vitesse du déplacement.

Benoit Deuxant



Artists

MENCHE, Daniel
0