Francisco LOPEZ


« Contre la tendance couramment répandue dans le sound art et les habitudes d’enregistrements de milieu naturels, je crois en la possibilité d’une écoute profonde, pure et “aveugle” de sons, libérée (autant que possible) de références à la procédure, au contexte et à l’intention. Plus important encore, je conçois cela comme une forme idéale d’écoute transcendantale qui ne nie pas tout ce qui est à l’extérieur des sons mais qui explore et affirme tout ce qui est à l’intérieur d’eux. Cette conception puriste et absolue est une tentative de combattre la dissipation de ce monde intérieur. »
Francisco López, Environmental Sound Matter, avril 1998,
(trad. de l’anglais par Alexandre Galand)

Avec ses sorties sur plus de deux cents labels depuis une trentaine d’années, Francisco López est incontestablement une des figures majeures du sound art. Biologiste de formation, il s’investit d’abord dans la création de pièces inspirées des théories de R. Murray Schafer (auteur du célèbre ouvrage The Tuning of the World et pionnier de l’écologie sonore) selon lequel le field recording doit être la transcription sonore d’un milieu naturel, en opposition aux bruits issus de l’activité humaine considérés comme agressifs. López se détache assez vite de cette conception pour envisager la ville et la nature sur le même pied.

La création et la présentation de ses pièces est par ailleurs guidée par une volonté de s’émanciper de tout symbolisme. Désormais, l’identification de la source originelle des sons n’importe plus. Cet abandon d’une optique documentaire induit la conviction que les espaces naturels ou urbains n’existent plus qu’en tant que réservoirs de sons. Cette idée est bien évidemment influencée par celle de Pierre Schaeffer, le père de la musique concrète, qui prônait l’utilisation d’« objets sonores » détachés du contexte de leur captation.

L’usage du field recording comme miroir de la réalité paraît en outre périmé aux yeux de Francisco López pour plusieurs raisons. D’une part, l’écoute d’un environnement sonore est toujours unique : elle est propre à un individu, un lieu et un moment bien déterminés. En cela, elle ne peut être reproductible. Cette impossibilité de transcription est encore renforcée par des contraintes techniques liées au travail d’enregistrement (l’usage d’un microphone ou d’un autre, l’édition, etc.). C’est pour cela que López présente la recherche absolue de réalisme dans l’enregistrement d’ambiances naturelles comme un leurre semblable à la visite d’un zoo pour qui voudrait découvrir la vie sauvage.

Ces raisons expliquent pourquoi la plupart des disques de l’artiste sont vierges de toute information : pochette transparente, absence de textes, numéros à la place des titres pour les compositions. Ses performances vont dans le même sens. Les spectateurs sont privés de lumière, notamment en leur bandant les yeux. Ils sont en cercle, entourés par un grand nombre de diffuseurs, tandis que López se fait le plus discret possible. Tout ce dispositif d’effacement de l’artiste et du décor visuel est nécessaire afin que l’auditeur soit littéralement plongé dans le son.

Cette expérience d’immersion n’en est pas pour autant monolithique. C’est ainsi que sa composition #74 commence par une très longue plage de silence, une composante récurrente et très importante dans l’œuvre du musicien. Ce vide apparaît comme un prélude favorisant la disponibilité et la concentration d’écoute. Un souffle d’abord à peine perceptible prend alors de plus en plus d’ampleur pour se transformer en un maelström de textures riches et mouvantes. Sommes-nous projetés au cœur d’une tornade, sous une cascade ? Il n’y aura pas de réponse à cette question et l’auditeur ébahi aura l’impression de flotter en apesanteur suite à l’arrêt soudain de la tempête. De longues minutes de vide achèveront cette excursion dans un univers qui bien que volontairement abstrait n’en suscite pas moins une excitation sensorielle rare.

(Alexandre Galand)


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