Ce solfège vient illustrer avec de nombreux exemples sonores le travail de Pierre Schaeffer dans son livre Le Traité des objets musicaux . La première réalisation en 1967 comprenait trois vinyles et un livre reprenant les commentaires de l’auteur sur chacun des exemples sonores. Le traité, paru en 1966, fait la synthèse des recherches menées autour du phénomène sonore dans ses différents aspects par le Groupe de recherches musicales. Il s’agit d’une réflexion approfondie autour de la nature du son depuis la note émise par un instrument déterminé, jusqu’au bruit. Quelques-uns des thèmes abordés sont le timbre des sons et la notion d’instrument de musique, les seuils temporels de l’oreille, une typologie des objets musicaux, ainsi que les quatre éléments du solfège. Il est avant tout destiné à ceux qui travaillent sur la matière sonore. Les pièces sonores elles-mêmes ont été réalisées par Guy Reibel, Beatriz Ferreyra, Henri Chiarucci, François Bayle, et Pierre Schaeffer lui-même.
La majeure partie des travaux de Schaeffer consiste en une réflexion sur la nature et la richesse de l’élément sonore, sa substance et sa matérialité. Il en tirera l’idée d’ objet sonore , une notion qui désigne « un phénomène sonore perçu dans le temps comme un tout, une unité, quels que soient ses causes, son sens, et le domaine auquel il appartient (musical ou non) ». C’est en 1948 qu’il commence à effectuer des expérimentations au moyen de sons ou de séquences enregistrés sur disques. Très rapidement, il sentira le besoin d’une forme de notation et de classification équivalente à celle développée pour la notion de note dans la musique classique. Il s’appliquera ainsi à élaborer une méthodologie de classement des sons concrets, issu de l’univers sonore tout entier, et incluant les sons qui n’ont pas de hauteur définie, ou dont les caractéristiques n’entrent pas dans les critères habituels de la musique traditionnelle. La note de musique devient alors un cas particulier d’objet sonore.
Schaeffer étayera sa théorie tout au long de ses expériences musicales personnelles, ainsi qu’à travers le travail de recherche collectif effectué par le Groupe de recherche de musique concrète au sein de la RTF à partir de 1951, puis par le Groupe de recherches musicales (GRM) qu’il dirigera à partir de 1958. Ces investigations trouveront leur aboutissement en 1966 dans le Traité des objets musicaux , qui, outre la notion d’objet sonore et d’objet musical, et la distinction entre les deux – l’objet sonore n’accédant au stade d’ “objet musical” que s’il répond à certains critères qui le rendent « convenable » à l’utilisation musicale –, présentait pour la première fois le concept d’“écoute réduite”. Cette notion révolutionnaire bouleversera les attitudes traditionnelles de l’écoute musicale, voire de l’écoute tout court. Elle devait avoir une forte influence non seulement sur la musique mais sur d’autres disciplines liées à l’acoustique, la psychoacoustique, la musicologie, etc. Elle consistait en une forme d’écoute radicale, libérée des notions de source (l’origine du son) et du sens (sa signification culturelle, notamment) pour en dégager ses caractéristiques intrinsèques, sa matière, sa texture auditive, sa forme. Aujourd’hui encore le Traité représente un des plus importantes entreprises théoriques de la recherche musicale au XXe siècle.
Benoit Deuxant