Le nom de Hildegard Westerkamp est fortement lié au concept d’écologie acoustique ; elle est en effet un des membres fondateurs et une des principales figures du World Forum for Acoustic Ecology, une association dérivée des thèses du compositeur canadien R. Murray Shafer. Ce dernier est, depuis la publication de son livre The Tuning of the World (Le Paysage sonore, 1977), un personnage incontournable dans le monde du paysage sonore et ses recherches continuent d’influencer les musiciens comme les scientifiques. Le WFAE poursuit les travaux de Shafer sur l’importance de l’environnement sonore pour l’être humain, et la nécessité de préserver cet environnement de la pollution sonore entraînée par la civilisation (autoroutes, aéroports, survols aériens, industries, etc.) et organise des conférences, des débats, produit des publications, sur l’usage et le mésusage du son. Ces activités comportent également un accompagnement artistique, sous la forme d’enregistrements, d’installations sonores, d’ateliers, ainsi que de balades sonores (soundwalks) durant lesquelles on propose aux participants de se concentrer sur des aspects « mal entendus » du paysage ambiant. Si le mot « écologie » est souvent associé à une idée d’environnement et d’un retour à une nature mythique préservée de la marque de l’homme, ce serait toutefois réduire les horizons du WFAE que de les limiter à une vision new age, ou antimoderne, de la question.
Si une partie des travaux de Hildegard Westerkamp est principalement tournée vers ce qu’elle appelle ear-cleaning, une forme de prise de conscience du bruit et du volume sonore ambiant destinée à encourager la réduction des nuisances, une autre part est consacrée à la musique.
Cela peut prendre la forme d’installations sonores, à petite ou grande échelle, comme sa Harbour Symphony faisant appel à des dizaines de bateaux et au son de leurs sirènes dans le port de Vancouver – ce qu’un critique compara à « un troupeau de joyeux éléphants dans un embouteillage » – ou bien la forme plus classique de disques. Elle mêle alors dans son approche une part purement constituée de field-recording à une autre, instrumentale, généralement créée à partir des sons qu’elle a collectés. C’est cette approche qui a séduit le cinéaste Gus Van Sant, qui a intégré à la bande son de ses films Elephant et Last Days quelques travaux de la compositrice.
C’est le cas également sur ce disque dont les trois plages composées sur une période de cinq ans, à partir de son premier voyage en Inde en 1997, proposent plusieurs aspects différents de l’univers sonore du pays et de sa population. Un certain nombre de sons, musicaux ou non, tonals ou non, sont réinjectés dans le paysage sonore original et lui accordent un rythme ou une couleur harmonique supplémentaire. Des cloches de toutes formes et de toutes tailles servent ainsi de brouillage mélodique sur un passage évoquant la religiosité indienne, des percussions sont créées à partir de sons aquatiques, ajoutant à une autre pièce un rythme et un timbre rappelant celui des tablas indiens. Toutes ces interventions musicalisent le tableau sonore, qui s’écarte de plus des pratiques habituelles de l’écologie sonore en ce qu’il comporte une grande quantité d’éléments humains, sous forme de voix, de musique, ou de sons urbains, y compris des échantillons de pollution sonore, comme les klaxons incessants de la circulation dans les grandes métropoles indiennes, détournée de manière à la fois humoristique et mélodique. En substance, le disque propose plusieurs niveaux de lecture, à la fois sur le plan musical, sur le plan documentaire, et contenir également un message, principalement écologique, que la dernière plage met particulièrement en avant.
(Benoit Deuxant)