REHBERG & BAUER


À l’époque de sa fondation, en 1994, le label mego enfonça quelques portes. Il apporta plusieurs bouleversements successifs, dont la musique actuelle se ressent toujours : il établissait pour la première fois l’idée de performances au laptop, de musique presque exclusivement numérique, et d’exploitation de l’erreur informatique comme source sonore, comme mode de jeu et comme méthode de composition. Bien avant que le terme glitch ne devienne un cliché désignant tout et n’importe quoi, les pionniers qu’étaient Peter Rehberg et Roman Bauer tentaient d’imposer une nouvelle esthétique, basée sur l’erreur, le disfonctionnement, le bruit. Poussant les procédés informatiques jusqu’à la faille, le fameux glitch intraduisible, ils allaient apporter de nouveaux sons et de nouvelles pistes de travail à une génération entière. De la même manière que la distorsion avait transformé le rock, ou que la dissonance avait progressivement modifié la musique classique, l’erreur informatique allait devenir une nouvelle source d’inspiration pour les musiques innovatrices. À l’âge où le tout-informatique commençait à s’imposer au monde, baser une musique sur l’erreur, le plantage, était une forme de sabotage, et une approche critique. En se basant sur le détraquement, le dérèglement, Rehberg, Bauer et les autres acteurs de la scène viennoise autour de mego (Farmers Manual, Hecker, Russel Haswell, Fennesz, etc.) choisissaient le camp du bruit. Avant que les sons du glitch n’infiltrent presque tous les genres musicaux, et que le genre ne se sclérose en « clicks & cuts », simple organisation rythmique de glitches, créer et utiliser ces sons dérangés était une joyeuse manière de célébrer la machine devenue folle, de saluer la faille dans le mécanisme, et de détourner la réputation de sérieux de l’informatique vers la bizarrerie, le caprice, la déraison, d’en saborder définitivement la supposée perfection.

Après avoir entamé leur carrière à Vienne avec des productions sous le nom de Pita pour Rehberg, et de General Magic pour Bauer, c’est pourtant en Angleterre sur le label Touch que sortiront la plupart des albums au nom de Rehberg & Bauer, Faßt tout d’abord, en 1997, puis Ballt en 1999 et enfin l’album qui nous occupe : Passt (2001). Constitué d’enregistrements live réalisés durant leur tournée australienne de cette année-là, et de remodelage de ces enregistrements, le disque est la dernière collaboration entre Rehberg et Bauer, et démontre leur ferme intention de rester fidèles à leurs principes de départ. Le laptop est ici encore l’instrument principal, et les sons sont radicalement numériques, mais l’informatique n’est pas utilisée pour polir les contours de la musique, pour rationaliser la composition et la recadrer, mais au contraire pour participer au désordre, pour produire du chaos. Si l’album Faßt se vante d’être entièrement construit « à partir de cassettes DAT hors service, d’erreurs personnelles et de faillite totale de la machine », il enfonce le clou et continue de promouvoir l’association de l’humain et de la technologie dans l’erreur créatrice.

Benoit Deuxant



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