C’est une démarche à la fois écologique, acoustique et historique, mêlant des préoccupations pour l’environnement et sa préservation, et pour les événements historiques qui ont marqué une région, qu’a adoptée Kiyoshi Mizutani pour cet album, Scenery Of The Border. Kiyoshi Mizutani, ex-membre de Merzbow, dans les années 1980, lorsque Merzbow était un groupe et non le projet solo de Masami Akita, s’est ainsi intéressé au mont Tanzawa, dans la préfecture de Kanagawa, au nord de Tokyo. Il en a tiré un album qui est à la fois un document sur cette région et une plongée assez méditative dans un paysage de forêts et de montagnes, à la fois extraordinairement calmes et pourtant remplies de légendes et d’histoire.
La majeure partie du disque consiste en enregistrements subtils de ce paysage, présentés tels quels, sans additifs, presque sans montage ; une autre partie est, elle, composée sous forme de tableaux, tout aussi subtils, mêlant au paysage des éléments de la vie ou du folklore de la région. Le disque possède plusieurs niveaux d’écoute, qu’on soit intéressé par l’écologie, l’écologie sonore, le folklore japonais, ou tout simplement, qu’on envisage ce disque comme une pièce de musique, impressionniste et minimaliste. Peu d’effets de manche ici, en effet, le calme un peu inquiétant des montagnes est restitué sans emphase, presque sans recherche esthétique ; et toutefois, selon les sensibilités, on peut aisément se laisser envahir par cette atmosphère rêveuse, possédant la même poésie prosaïque que certains cinéastes japonais arrivent à si bien capter (de Nabuhiro Suwa à Takeshi Kitano en passant par Shinji Aoyama ou Kiyoshi Kurosawa), une poésie faite d’une attention extrême pour le détail subtil et d’un goût sûr pour la composition dépouillée.
Comme la photographie d’un paysage, la qualité des prises de son de Mizutani provient à la fois du cadrage et de la combinaison d’éléments sonores sélectionnés pour remplir ce cadre. Mizutani affectionne les plans larges où l’oreille vagabonde, attirée à gauche puis à droite par des sons isolés, des interventions pointillistes dans le tableau, des oiseaux souvent (une passion de Mizutani, qui leur a d’ailleurs consacré un disque, Bird Songs, sur le label Ground Fault), des insectes, des pas dans les feuilles mortes, le vent, beaucoup d’eau aussi, sous toutes ses formes : la pluie, la brume, les torrents dans la montagne, l’humidité des tunnels, les chutes d’eau… Mais ces éléments n’ont pas de signification en eux-mêmes, c’est leur assemblage, leur conjonction, qui détermine le caractère de la pièce. Là encore, Mizutani refuse de voir dans ces pièces autre chose qu’une observation, une impression. Son disque est une flânerie, une promenade à travers une région du Japon préservée de la surexploitation par sa difficulté d’accès, et conservée relativement intacte dans son état naturel. Comme dans la peinture paysagère japonaise, le thème n’est toutefois pas la nature elle-même, mais le rapport entre l’homme et celle-ci, et comme dans cette peinture, c’est la présence invisible d’un observateur qui nous met sur la voie.
(Benoit Deuxant)