Christopher MCFALL


Christopher McFall est un musicien qui a publié des pièces sur la plupart de mes netlabels favoris : CON-V, Homophoni, Alg-a, And/OAR, etc. Il a également publié il y a quelques années un CD intitulé Four Feels for Fire sur le label entr acte, ce qui est encore une fois un gage de qualité. Avec une remarquable constance, il développe un travail à long terme, basé sur son environnement et, de plus en plus, sur ses sentiments par rapport à celui-ci. Christopher McFall est originaire de Kansas City. Il travaille à partir de field-recordings et de bandes magnétiques, qu’il traite informatiquement. La plupart de ses pièces se basent sur les ambiances particulières des régions industrielles du Kansas et du Missouri. Ces régions, dévastées par la crise et laissées à l’abandon, sont le prétexte à des compositions reflétant la ruine, la perte de sens, de finalité de cet environnement déchu, rendu à la poussière et à la chaleur. Entamées dans un mode relativement documentaire, ses prises de sons ont rapidement donné lieu à un traitement fort différent, qui ne restituerait plus simplement la réalité de ces friches industrielles, de ces bâtiments saccagés, ou en voie de rénovation, de ces zones longtemps délaissées et aujourd’hui en cours de gentrification.

Si le commentaire est toujours présent dans le choix des lieux à enregistrer et à « illustrer », c’est de plus en plus un point de vue qui est exprimé, à la fois interprétation d’une situation socio-économique, et vision de plus en plus impressionniste de l’auteur. Le field-recording est ainsi, comme la photographie, un genre qui oscille continuellement entre une objectivité impossible et une vision artistique. C’est une pratique qui reste résolument consciente des limitations du statut d’« auteur », qui tiend compte de la part de hasard, de circonstances imprévisibles, de données immanentes, qui rentrent dans le processus de création. La proportion de contribution personnelle de l’artiste est à mettre en balance avec la participation d’éléments purement arbitraires, de contingences, de conjonctures. Sans rejeter ce postulat, Christopher McFall intègre depuis quelque temps un plus grand apport subjectif dans ses compositions, les rehaussant de sa propre réponse émotionnelle à son « biotope », traduisant ambiance et atmosphère à travers un filtre à la fois biographique et affectif, cherchant à appliquer à son œuvre « de l’intention, de la cohérence, et de l’esthétique ».

À l’opposé des positions strictement documentaires, prétendument objectives, de l’école de l’écologie sonore (de Murray Schafer à Hildegard Westerkamp), McFall colore ses enregistrements de ses propres sensations. Il les retravaille pour n’en conserver que quelques éléments significatifs, les réorganise en tableaux nostalgiques, calquant sa palette sonore sur la détérioration qui l’entoure. Ainsi on trouve dans son nouvel album The City of Almost, sorti sur le label Sourdine, des échos des rues, des bâtiments, des chantiers, des usines désaffectées de son Kansas City, des reflets du vent, de l’orage, de la pluie, mais aussi des réminiscences des habitants de la région, quelques voix, des chœurs fantomatiques, etc.

Proche ainsi d’un William Basinski ou d’un Jim Haynes, il confère à l’usure, à la dégénération, à la détérioration, imitées dans sa musique par la dégradation systématique et volontaire des enregistrements, une signification métaphorique, sentimentale. Ses textures reproduisent la poussière, la rouille, la ruine, mais aussi l’inquiétude, la nostalgie, l’émerveillement, la peur… Loin d’une simple carte postale sonore, le disque est avant tout une confrontation entre un paysage et l’âme et le cerveau du sujet qui l’habite.

(Benoit Deuxant)


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MCFALL, Christopher
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