Christina KUBISCH


Christina Kubisch est aujourd’hui un des personnages les plus incontournables du sound art et de l’installation sonore, à l’instar d’un Steve Roden, ou plus loin dans le temps, d’un Bill Fontana.
Depuis 1976, elle réalise alternativement des installations sonores et des promenades sonores. Ces promenades utilisent la technologie de la transmission sans fil pour plonger le baladeur, muni d’un casque, dans un univers sonore fictionnel qui se superpose au paysage sonore naturel de l’endroit et répond aux stimuli visuels du lieu. Le visiteur en se déplaçant passe ainsi d’un choix sonore prédéfini à un autre, et peut mixer plusieurs sources en se tenant entre plusieurs points d’émission. Christina Kubisch établit de la sorte un tissu de réponse à l’environnement, un jeu de correspondances ou de contrastes entre le son et le visuel, qui désoriente le spectateur, qui n’entend pas forcément ce qu’il voit. Ses plus récentes promenades, intitulées Electric Walks, qu’elle présente depuis 2003, poussent encore plus loin la recherche de l’invisible, en se basant sur les interférences électromagnétiques des appareils (appareillage domestique ou « mobilier urbain ») que nous côtoyons chaque jour sans le voir ou le savoir. Là encore, des écouteurs spécialement conçus dans ce but sont mis à disposition des promeneurs qui suivent un itinéraire repéré à l’avance par Kubisch comme comportant des sources intéressantes de perturbations (antennes anti-vol, éclairage clignotant, transformateurs électriques, etc.). Le résultat sonore est quelquefois proche d’une certaine forme de techno ultra-minimaliste, ou d’expérimentation électronique (quelques exemples sont à trouver sur le site de l’excellent magazine américain Cabinet, http://www.cabinetmagazine.org/issues/21/kubisch.php.)

Ses installations sonores, quant à elles, explorent une fascination pour le son simple, pour le son élémentaire, primal. Elles sont autant de variations sur cet objet primaire de la grammaire électro-acoustique : la cloche. Le son de cloche, par sa simplicité et sa pureté (et en même temps ses variantes infinies de timbre et de caractère), a souvent été une des bases de cette musique, se prêtant à toutes les transformations imaginables (écouter par exemple Mortuos plango, vivos voco de Jonathan Harvey, FH2671). Elles possèdent également souvent une charge émotionnelle forte, associée aux rituels auxquels elles participent (cloches d’églises, carillons, bols/cloches tibétaines). Elle possède selon certains une résonance primale, ancrée au fond de chacun de nous qui fait que « cela marche à tous les coups ». Presque toutes les installations sonores de Christina Kubisch sont basées sur une source sonore unique, et d’une manière ou l’autre, tournent autour du son de cloche. Qu’elles soient directement employées comme c’est le cas avec une de ses pièces les plus connues : Dreaming of a Minor Third, ou bien suggérées ou détournées, c’est ce même son flottant et enveloppant qui est invoqué. Dreaming of a Minor Third, réalisé sur une demande du Musée d’art contemporain de Boston (Massachusetts), replace le son des cloches dans la tour vide du musée, clocher jusque-là muet. Le son est déclenché par une batterie de capteurs solaires qui détermine l’attaque, la tonalité et la longueur des sons de cloches en fonction de l’intensité et de la position du soleil. Twelve Signals, une pièce plus récente, utilise une série de cloches d’alarme provenant d’une mine allemande. « Old Sounds Archive » (1999), sur l’album Vier Stücke [Four Pieces], utilise comme son nom l’indique les archives sonores de la Free Berlin Broadcasting Section, en particulier la section… cloches.

Mais cette fascination pour le son de cloche est applicable à d’autres formes de résonances, symboliquement moins marquées peut-être, et qui donnent quelques-unes de ses plus belles installations et quelques-uns de ses plus beaux disques. Diapason, poursuivant la contrainte de la source sonore unique, est construit autour de diapasons, Sechs Spiegel à partir de verre frotté, « Vocrolls II » (sur l’album Vier Stücke [Four Pieces]) prend comme point de départ l’enregistrement d’une bille de verre tournant dans un bol tibétain. Armonica, le plus récent, utilise le « glass harmonica » , instrument inventé par Benjamin Franklin en 1763, et consistant en une série de lamelles de verre, alignées harmoniquement, mises en mouvement par un pédalier, et jouées du bout des doigts (préalablement mouillés). Ces quelques œuvres, aussi appréciables dans leur cadre d’origine, c’est-à-dire comme une installation, que sous la forme documentée par les disques, sont de longs drones hypnotiques, irrésistiblement séduisants dans leur simplicité et leur force. Ils sont, à chaque étape, un pas de plus dans la recherche du même. On hésite à parler de recherche de la perfection, puisqu’en substance cette perfection se trouve déjà dans le son de départ, cloche ou diapason. On se pose par contre la question de savoir qu’ajouter à cette perfection sans que l’apport de l’artiste ne devienne redondant ni outrancièrement prétentieux. C’est là que le background de Christina Kubisch dans le cadre de l’installation sonore possède tout son intérêt : elle se contente de mettre les sons en place, de les mettre en scène, presque avec modestie, et de leur laisser la parole. Hors de toute velléité musicienne, elle laisse le son rencontrer l’espace, sans intermédiaire.

(Benoit Deuxant)


Artists

KUBISCH, Christina
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