EINSTÜRZENDE NEUBAUTEN


Une des plus belles images du groupe Einstürzende Neubauten est donnée par le film qu’a tourné avec eux le réalisateur japonais Sogo Ishii : Halber Mensch. Confrontant le groupe avec une troupe de danseurs de butō, il traduit en images le caractère absurdiste et convulsif de leur musique, à la fois extrêmement physique et violemment réfléchie. Plus qu’un concert filmé, c’est une réelle collaboration entre Sogo Ishii et le groupe, coopération que le réalisateur met en scène dans un environnement apocalyptique qui souligne l’esthétique tribale mais surtout industrielle de Neubauten. À cette époque, Einstürzende Neubauten est un groupe jeune, radical. Blixa Bargeld n’est pas encore le dandy décalé extraordinaire qu’il deviendra par la suite, mais un grand échalas plutôt effrayant dans sa maigreur et son teint blafard. Ses costumes trois-pièces d’alors sont plutôt en cuir déchiré et en épingles de sûreté. Le groupe possède à cette époque une image trash qui fait merveille dans la vision de Sogo Ishii. Celui-ci non seulement restitue impeccablement l’attitude du groupe mais aussi démonte et expose la construction de la musique chez Neubauten : de la récupération d’outils et d’objets (chariot de supermarché, marteau-piqueur, bonbonne de gaz, disqueuse, etc.) à la rage percussive, du bruit et de la fureur au morceau terminé.

Les premiers pas discographiques du groupe remontent à 1981, année qui verra le label ZickZack sortir leur album Kollaps. Composé alors du trio Blixa Bargeld, N.U. Unruh et F.M. Einheit, Neubauten y expose ses visions musicales les plus primales, presque les plus pures. Comme un manifeste de leur démarche, il concentre dans chacun des titres les bases les plus brutes, les plus extrêmes, de leur exploration du bruit : les rythmes accidentés, sauvages, de leurs percussions métalliques, les grincements des objets industriels décalés, le son pur de l’électricité, les hurlements de Bargeld, et ses textes sibyllins et ultra-directs à la fois. « Smerzen Hören » (« Entendre douloureusement »), « Tanz Debil », « Negativ Nein », « Draussen ist feindlich » (« L’extérieur est hostile »), « Abstieg und zerfall » (« La chute et la désagrégation »), « Kollaps » (« Effondrement »). Des mots d’ordre, des cris, des plaintes anxieuses… Un discours pré-rationnel, à peine articulé, agité, en crise. Plus qu’un simple malaise existentiel, c’est en effet d’un cri qu’il s’agit.

Brian Eno décrit la distorsion et l’attrait des musiciens pour elle, comme une métaphore d’une émotion qui déborde de son cadre au point de se déformer en sonorités monstrueuses. Tout ici est en effet débordement, l’angoisse est permanente, la folie le seul exutoire. Lorsque le point d’ignition de cette épouvante n’est pas intérieur, il est provoqué par un violent sentiment d’enfermement, de séquestration. La réverbération entourant la voix et la frappe des percussions ne souligne plus alors que les murs, les obstacles, la clôture. Chaque morceau est alors une attaque de panique, et la musique de Neubauten se fait le reflet difforme d’un vertige existentiel et d’une angoisse frénétique.

Benoit Deuxant



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