Kevin DRUMM


Si la carrière de Kevin Drumm a traversé plusieurs phases distinctes, explorant des styles apparemment très opposés, elle échappe toutefois à toute accusation de dilettantisme de par l’intensité qu’il a accordée à chacune d’elles, qu’il s’agisse de sa période consacrée à une musique improvisée, minimaliste, proche de l’onkyo japonais, ou comme, ici, d’une forme de noise brutaliste, proche des relectures du Black Metal par un Lasse Marhaug. Qu’il applique une certaine forme de retenue et se concentre sur de longs drones d’orgues, comme sur ses albums récents ou qu’il pousse tous ses instruments dans le rouge, et teste les limites les plus extrêmes de ses appareils, et de ses auditeurs, c’est à une même exploration radicale des potentialités du son qu’il se livre, tantôt avec douceur, tantôt avec violence.

Lorsqu’il publie ce disque en 2002, Kevin Drumm est principalement connu dans les milieux de la musique improvisée. Il s’y est bâti une réputation depuis quelques années, jouant de la guitare couchée avec ses concitoyens chicagoans, ou avec des pointures internationales comme Axel Dörner, Taku Sugimoto ou Mats Gustafsson. La liste est longue. Ses premiers disques le montrent se rapprochant d’une esthétique minimaliste, extracalme, quasiment austère dans son dépouillement économe. Il va donc créer la surprise en proposant ce nouvel album, Sheer Hellish Miasma, à Mego, un label viennois plus connu pour son électronique sans concessions et ses pionniers de la musique sur laptop (Pita, Farmers Manual). L’album qu’il leur propose est d’une brutalité sans nom, douloureux et agressif, il semble vouloir dépasser en âpreté et en férocité les standards – pourtant déjà élevés – du noise comme du black métal norvégien. Au premier il emprunte un goût pour les sons abrasifs, dangereux presque, de l’électricité déchaînée, au second une densité, une pesanteur, et une imagerie noire, barbare, satanique pour rire ou pas, appelant de ses vœux le chaos et la destruction.

Ce n’est pas le premier artiste « expérimental » à chercher un entrecroisement avec le noise ou le métal ; il semble que ces deux formes d’extrémisme attirent irrésistiblement les musiciens d’avant-garde. Faut-il y soupçonner un déguisement, une couverture populiste, pour les excuser de faire de la « musique sérieuse », au risque d’être confondu avec l’establishment classique, ou pire avec des musiciens de jazz, ou bien faut-il y voir la même démarche qui attira des écrivains et des cinéastes d’art et essai vers le cinéma et la littérature de genre, pour la liberté qu’ils apportaient paradoxalement aux auteurs, leur permettant de « se lâcher », de s’exprimer sans détours, hors de portée du radar des censeurs et des scrutateurs ? Au-delà du goût pour le son rauque et brut, et la violence cathartique de ces genres, Kevin Drumm semble envisager sa nouvelle voie autant comme une exploration que comme une confrontation.

L’exigence d’endurance qu’il impose à ses auditeurs, la demande explicite qu’il leur fait d’accepter intégralement – le disque laisse peu d’autre choix qu’une capitulation ou une fuite – les nouvelles données de sa musique, sont un passage obligé, un rituel. La fureur et la libération, le volume sadique et l’ardeur masochiste, sont autant le respect d’une forme – le noise – que son détournement. Franchie la première épreuve, c’est même à une certaine contemplation que nous sommes conviés, au partage d’une fascination pour le dégât et l’affront, comme pour l’éclat iridescent de la brûlure, pour l’exutoire de la blessure. Mais la résolution de cet attrait pour le côté obscur est avant tout un gain éperdu en intensité, en acuité. En dépit d’une certaine véhémence apparente, c’est une musique fortement contrôlée, qui doit être maîtrisée pour n’être pas seulement bruit, pas seulement désordre. Il n’y a au final qu’une semblance de contradiction entre les deux Kevin Drumm, celui qui joue avec Taku Sugimoto et celui qui produit ce disque, et par-delà le jusqu’au-boutisme de ce dernier, l’exaspération amène ici à plus de sérénité encore.

Benoit Deuxant



Artists

DRUMM, Kevin
0