« En tout être humain survient une vacillation d’un sexe à l’autre et, souvent, seuls les vêtements maintiennent l’apparence masculine ou féminine, tandis qu’en profondeur le sexe contredit totalement ce qui se laisse voir en surface. » Virginia Woolf, 1928.
La société a toujours poussé l’être humain à jouer un rôle déterminé par son sexe et sa situation sociale. En permanence, dans leur vie sociale et privée, l’homme et la femme sont les acteurs d’une véritable « performance ». Le cas particulier du voguing (ou vogue) permet une approche de ce phénomène culturel.
Le voguing voit le jour dans les années 1960-70, comme courant porté par les communautés transsexuelle et gay afro et latino-américaines. Ce mouvement mettait en place des lieux de rencontre où des minorités venaient s’exprimer, mais aussi se donner à voir tout en prenant, le temps d’un défilé, l’apparence d’un « avocat », d’un « militaire », et autres profils « type ». Chacun y revêt au sens littéral un costume particulier, dont il se joue pour un moment du rôle social. Ces vogueurs usent de la pose-mannequin à la façon des modèles du magazine américain Vogue, et reproduisent (par mimétisme) les mouvements angulaires, linéaires et rigides du corps, des bras et des jambes, typiques des défilés de mode.
Ce microcosme, très organisé, faisait se confronter différentes « houses » (sortes d’équipes) lors de « balls ». Un encadrement des plus jeunes existe, puisque les « mothers » s’occupent des « children » – un rapport d’ancienneté qui ritualise la pratique. Les rôles sociaux y sont donc répartis, dépassant la seule compétition pour un accompagnement dans la vie de tous les jours. Le voguing permet en cela une affirmation de soi qui dépasse la seule mise en scène. Cette réflexion sur l’identité semble nous dire que celle-ci se crée plus qu’elle ne nous préexiste. En somme n’est-elle pas déterminée, elle est un choix, une invention propre à chacun, libre de jouer des codes et de les détourner au besoin.
Le courant explose dans début des années 1990 grâce au clip de Madonna « Vogue » et le très beau documentaire Paris is burning de Jennie Livingston, qui suit la trace de personnes emblématiques du mouvement, comme Pepper LaBeija, Dorian Corey, Angie Xtravaganza, et Willi Ninja. Ce documentaire permet une immersion dans ce courant qui oscille entre danse, performance, club culture et style de vie.
S’il a connu un certain déclin (notamment du fait des ravages du Sida), le voguing arrive en Europe au tournant des années 2000, avec des compétitions à Paris, Berlin… Ce regain d’intérêt va permettre à la pratique d’évoluer, de rencontrer d’autres cultures, de se poursuivre sous des formes syncrétiques.
« Tu sais… tout le monde ‘vogue’, à un moment ou un autre de la journée. Sans s’en rendre compte. Tiens, par exemple, les hôtesses de l’air à l’aéroport : ‘Venez par ici, s’il vous plaît. Tournez-vous !’ – c’est du voguing ! Et on dirait des mannequins ! C’est formidable, non ? Je peux regarder n’importe qui, et je me dis ‘toi, tu ne sais pas ce que tu es en train de faire, mais qu’est-ce que tu le fais bien !’ ». Hector Xtravaganza, Émission Tracks – Arte – 2 Novembre 2012
Jean De Lacoste