On retient de l’œuvre de Genesis P-Orridge le travail qu’il mena au sein du groupe d’art performance COUM Transmissions dès la fin des années 1960, et au sein de Throbbing Gristle dès la fin de la décennie suivante. Dans une tendance industrielle empruntant à l’imagerie de la pornographie, de l’occultisme ou des tueurs en série, il contribua au développement d’une esthétique déviante, qui lui vaut aujourd’hui une réelle reconnaissance, élargie encore avec ses activités au sein de Psychic TV. Plus récemment, l’artiste s’est illustré au travers d’un autre projet, dont la nature n’est plus, cette fois, musicale.
Pour en saisir toute la teneur, il faut remonter à 1970, année où Neil Andrew Megson, de son vrai nom, se fait appeler Genesis. C’est précisément à cette Genèse qu’il fera référence 30 ans plus tard, évoquant les opérations de chirurgie esthétique qu’il choisit de subir au long de sa vie, et plus particulièrement au premier être de cette histoire, Adam Kadmon, hermaphrodite et premier humain selon certaines légendes préchrétiennes. Ces légendes présentent les humains comme originellement mâles et femelles ; ce n’est que par la volonté de Dieu qu’ils furent séparés, condamnés à rechercher leur moitié.
L’identité de Genesis a donc évolué dans cette ambivalence qu’un physique ambigu entretenait largement. Toutefois, s’il a subi de profondes transformations physiques (implants mammaires, par exemple), à aucun moment il n’a opéré un changement de sexe – restant donc un mâle, au genre ambigu. Sa moitié, il finira par la trouver en la personne de Lady Jaye, née Jacqueline Breyer, membre de son groupe Thee Majesty. Ensemble, ils engageront une expérience ambitieuse en subissant tous deux des opérations de chirurgie plastique devant les rentre physiquement semblables. Il ne s’agissait pas de devenir identiques ou jumeaux, mais constituer les deux parties d’un nouvel être, un pandrogyne du nom de Genesis Breyer P-Orridge.
En 2011 la réalisatrice Marie Losier dévoile son premier long-métrage, un documentaire sur cette aventure hors du commun. L’histoire de cette double transformation est traitée sur un plan non chronologique, ne restituant pas l’évolution de l’expérience, quoi que le tournage se soit étalé sur sept années. C’est avant tout un portrait que dresse ce documentaire ; le portrait d’un être transgenre, le portrait d’un couple, d’une histoire d’amour, d’un projet et d’un style de vie, d’une économie d’existence en disruption avec la société dans laquelle, pourtant, elle s’inscrit. Le documentaire, malgré un traitement au final assez superficiel et sans réelle profondeur, dépeint ainsi l’utopie ou l’impossibilité du rêve, brisé à la mort brutale de Lady Jaye, survenue en 2007.
Ce document rend compte d’une ballade comme poème, une romance, il nous narre une histoire aux allures de conte. Car si la question de l’identité de genre ou du transidentitaire est au cœur d’un tel projet, il alimente le débat sans apporter de réponse, sans que l’on sache in fine qui est véritablement qui, pour qui et pour quoi, il touche à la fiction comme ultime échappée, remède ou alternative à une réalité pouvant sembler insatisfaisante dans les réponses et les catégories qu’elle peut avoir à offrir.
Sebastien Biset