ANTHOLOGIE


« La musique, c’est du bruit qui pense. »
Victor Hugo (citation placée en exergue du coffret)

Le Groupe de recherches musicales (GRM) compte parmi les laboratoires d’expérimentation sonore les plus importants des dernières décennies. Basé à Paris où il fait partie de l’Institut national de l’audiovisuel, il existe toujours et, outre ses activités théoriques, il organise plusieurs concerts et festivals chaque année. Si sa dénomination actuelle est fixée en 1958, ses origines remontent à 1944 lorsque Pierre Schaeffer crée un Studio d’essai, baptisé Groupe de recherche de musique concrète en 1951, au sein de la Radiodiffusion française (RDF).

La naissance du GRM est donc indissociablement liée à celle de la musique concrète, « inventée » par l’ingénieur Pierre Schaeffer. D’abord focalisé sur l’exploration des possibles du son concret (c’est-à-dire de « n’importe quel son sur support, même d’origine électronique, à partir du moment où il est utilisé et travaillé empiriquement et directement sur le dit support, sans la médiation d’une notation abstraite, et considéré pour la totalité de ses caractères », comme le définit Michel Chion, d’après Schaeffer, sur le site du GRM), le Groupe va étendre ensuite son champ d’action aux musiques électronique, électroacoustique et acousmatique.

À l’occasion de ses cinquante ans, le GRM a édité un coffret de cinq CD qui correspondent à autant d’aspects de sa riche histoire. Le premier disque, Les Visiteurs de l’aventure concrète, présente les œuvres d’une série de compositeurs ayant fait leurs armes en dehors du groupe. Attirés par les innovations du GRM, ils passent brièvement par le studio ou s’y attardent en échangeant leur expérience et en s’enrichissant de celle de leurs hôtes.

C’est le cas de Pierre Boulez dont les Études I et II (1951) consistent en l’exploration de textures et de couleurs variées sur la base d’un nombre limité de sons. Edgar Varèse participe avec Déserts (1954) à l’éclosion de la musique mixte, en juxtaposant jeu sur bande magnétique et large instrumentation en direct. Iannis Xenakis est également de ces musiciens de passage au GRM : il y compose Concret PH (1958) pour accompagner l’inauguration du pavillon Philips lors de l’Exposition universelle à Bruxelles en 1958. On peut encore citer l’exemple d’Olivier Messiaen qui, sensible aux innovations de son siècle (on se souvient de son utilisation de l’onde Martenot), collabore étroitement avec Pierre Henry pour une pièce au titre programmatique : Timbres-Durées (1952).

L’Art de l’étude constitue une des préoccupations majeures du Groupe. Au départ, la musique concrète libère d’une série de conventions parmi lesquelles la nécessité d’user de partitions et d’interprètes. C’est donc avec une certaine spontanéité que les fameuses Études de bruits de Pierre Schaeffer voient le jour en 1948. Très vite, les potentialités immenses du genre seront arpentées, quadrillées et délimitées par des recherches sonores, des « études », de Luc Ferrari, Alain Savouret ou encore François-Bernard Mâche. Ce sont ces investigations sur des points précis qui vont engendrer les nombreux sous-genres représentés au sein du Groupe : musiques acousmatique, anecdotique, etc.

Le Son en nombres dévoile le résultat des réflexions du Groupe en matière d’informatique musicale. Dès 1970, Pierre Schaeffer écrit, à l’occasion du Congrès de l’Unesco à Stockholm, le texte La Musique et les ordinateurs, inaugurant ainsi un propos, sans cesse approfondi depuis, sur un genre et des procédés alors en pleine expérimentation. Les premiers essais en la matière sont laborieux : le GRM ne possède pas encore d’ordinateur moderne et puissant, ce qui sera chose faite à la fin des années 1970. Petit à petit, des programmes de transformation sonore seront inventés et mis au service d’une nouvelle génération de compositeurs avides de faire d’algorithmes la source et/ou le moyen d’un nouvel univers musical.

Le Temps du temps réel concerne une phase de développement des outils informatiques qui facilitent le processus compositionnel. En effet, initialement, il s’écoule un certain laps de temps entre l’idée ou l’intention de création et la réalisation audible de cette dernière à cause des limitations techniques des ordinateurs : l’opérateur doit concevoir son œuvre, programmer les logiciels, puis attendre que l’ordinateur calcule et produise les sons désirés. Pendant de nombreuses années, ces pratiques du temps différé ont favorisé un travail très réglementé, autorisant peu de souplesse, de retours en arrière et d’ajustements.

Afin de pallier ces restrictions, les techniciens du Groupe ont œuvré à la conception d’un instrument et de programmes informatiques permettant de passer au temps réel. Le projet Syter (pour « Synthèse en temps réel ») a ainsi doté les compositeurs d’un outil leur offrant l’occasion « d’entendre un son à l’instant même où l’instruction est donnée ». Des œuvres capitales de François Bayle et Bernard Parmegiani ont été conçues à l’aide de Syter.

Enfin, Le GRM sans le savoir concerne « l’activité de design sonore » (indicatifs, jingles d’émissions radio, etc.) du Groupe et ses interventions dans des œuvres musicales plus populaires. C’est ainsi que l’indicatif de l’aéroport de Roissy, en activité depuis 1974, a été composé par Bernard Parmegiani (également responsable du générique de France Culture en 1972 et de « Stade 2 » en 1975). La musique concrète aura été diffusée également auprès du grand public grâce à la partition de Robert Cohen-Solal pour la série animée absurdo-philosophique « Les Shadoks » (créée par Jacques Rouxel et racontée par Claude Piéplu).

Entre autres curiosités, le Groupe aura donné une saveur particulière à certains morceaux de chanson française. C’est le cas de « L’alcool tue » de Boris Vian, recréé ici en 1962 par Parmegiani et chanté par Caroline Cler dans une version cartoonesque et hallucinée. La mélancolie de « Rengaine à pleurer » (1967), psalmodié par Mouloudji, est à peine tempérée par l’habillage électronique d’Edgardo Canton. Ce dernier disque s’achève par un des plus grands chefs-d’œuvre issus des recherches du Groupe : La Roue Ferris de Bernard Parmegiani (1971). Cette œuvre fascinante d’une dizaine de minutes utilisant répétitions et sons électroniques tournoyants aura marqué nombre de musiciens électroniques, démontrant que les apports du GRM ne sont pas restés la chasse gardée de quelques laborantins isolés.

Alexandre Galand



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