PELT

  • EMPTY BELL RINGING IN THE SKY (XP248K)

Le genre musical est un concept aux limites imprécises. Aussi, s’il peut être défini par des aspects divers comme la technique, la source sonore, l’origine géographique ou l’intention, il n’est pas rare de se voir confronté aux limites de la taxinomie musicale. En dépassant la question du genre, dont les frontières bien souvent sont floues, approximatives, mouvantes, certains musiciens bouleversent et réinventent les cartographies établies.

Pelt fait incontestablement partie de ces groupes que l’on peine à classer – tentative aussi vaine que réductrice. La classification, produit de la pensée cartésienne et déliante, est un mode de pensée qui ne résout pas tous les problèmes. Il faut parfois savoir relier, penser de façon macroscopique, et non plus microscopique. Aussi vaut-il mieux se débarrasser des codes et des conditionnements pour approcher la musique produite depuis 1993 par Michael Gangloff, Patrick Best et Jack Rose, parfois rejoints par Mikel Dimmick et Jason Bill (Charalambides). Ce projet répond de toute évidence à la nécessité de constituer un langage musical intemporel, voire universel. Banjo, guitare (électrique, acoustique), orgue, tanpura, violon, percussions et bols tibétains s’organisent en des mouvements de va et vient, en couches sonores denses, vrombissantes, lancinantes. Le drone ou bourdon existe dans la plupart des musiques ethniques ou spirituelles (dans le didgeridoo australien, la musique indienne, le pibroch écossais, le gagaku japonais, etc.) et constitue l’une des figures de prédilection des musiques expérimentales modernes. Il se voit largement exploité par Pelt conférant au langage expressif du groupe une force tranquille aux effets hypnotiques et méditatifs, et une ampleur qui n’a plus grand-chose à voir avec le rock, auquel cette musique n’appartient qu’en partie. Avec celui-ci il n’a en commun que l’instrument « type » que représente la guitare, et une intention psychédélique qui d’ailleurs n’est pas le propre de la culture rock. C’est également le raga qu’évoque Pelt, cette unité et figure mélodique de la musique classique indienne. Il est une combinaison de notes formant un mode, un cadre utilisable pour composer ou improviser des mélodies, autorisant un nombre infini de variations basées sur un ensemble de notes prédéfini. Dans cette musique, le tanpura (instrument à corde pincée) sert de base à chaque récital, égrenant en continu la tonique et la quinte. On le retrouve en bonne place dans l’instrumentarium du groupe.

La pratique de Pelt, pour l’essentiel improvisée, combine donc tout à la fois des éléments du raga classique indien, une pratique de la guitare « picking » du country blues et un penchant pour le répertoire folk nord-américain, et une tendance à la musique noise et dronique plus liée au monde du rock et du minimalisme. C’est de cette sensibilité noise rock que va peu à peu s’émanciper le groupe. Des albums Brown Cyclopaedia et Burning / Filament / Rockets à Max Meadows et Teoched se remarque la recherche d’un son nettement plus éthéré mais toujours électrique, bien qu’apparaissent des instruments acoustiques venant tempérer l’humeur pour le moins abrasive – ce qu’illustre l’album Empty bell ringing in the sky. Ce sont alors les textures free raga folk noise que le groupe continuera d’explorer, dans Ayahuasca (dédié à John Fahey) et Pearls from the river, notamment. Au fil des albums, pour la plupart parus sur VHF Records, s’opère donc un passage de l’instrumentation amplifiée aux performances acoustiques. C’est également au tournant des années 2000 que Mike Gangloff et Jack Rose s’investissent dans des projets parallèles. Une investigation folk pour Rose, mélangeant l’americana aux styles indiens, sur douze ou six cordes, en poussant toujours son instrument par-delà ses frontières habituelles, par des accordages singuliers et des tonalités venues d’ailleurs, une richesse du timbre exceptionnelle et des harmonies inattendues. Une œuvre méditative et atemporelle, qui a marqué de son empreinte le monde de la guitare acoustique, aux côtés de John Fahey, Glenn Jones, Davy Graham et Steffen-Basho-Junghans. Gangloff privilégie de son côté la collecte et réinterprétation de chansons old time au sein des Black Twig Pickers, dont il est le violoniste, banjoïste et chanteur. Hormis les albums de Pelt et autres disques en commun, Rose et Gangloff se retrouvent sur quatre morceaux de l’album Dr ragtime & pals (2008) et sur six des dix chansons de l’album posthume Luck in the valley (Thrill Jockey, 2010). Le décès de Jack Rose en 2009 met un terme à cette collaboration, synergie dont on retiendra autant d’audace que de liberté. Car en empruntant à la musique certains de ses codes, certaines de ses techniques et langages, par-delà et au travers des traditions, elle sut offrir autant d’occasions de relativiser la connaissance que l’on en a et l’idée que l’on s’en fait, lesquelles méritent sans cesse d’être réévaluées au gré des inventions et des innovations. Dans le même temps, malgré cette approche transculturelle, cette musique, tout en pouvant sembler adaptée aux cultures des quatre coins du monde (car déterritorialisée, nomade, radicante), ne s’offre qu’à l’écoute disponible, laquelle, devenue rare, réduit considérablement l’audience à même de la recevoir, de l’accepter, de l’apprécier. Un aspect qu’elle partage, faut-il l’admettre, avec le champ des musiques expérimentales, auquel elle n’appartient pas réellement, comme à aucun autre champ d’ailleurs. Cet aspect d’inappartenance lui confère une certaine aura, une réelle singularité ; ce qui est déjà beaucoup. C’en est même immense.

Sebastien Biset


() MEDIAQUEST

Îlots: Utopie (également relié à l'ilot Temps )

Glossaire: Drone / Bourdon, Hypnose, Musique minimaliste, Musique répétitive

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