Aki ONDA


Aki Onda (Nara, Japon, 1967) est un musicien et photographe, autodidacte et voyageur, ayant développé depuis plus de deux décennies un travail sonore essentiellement basé sur une exploration poussée des possibilités d’un outil a priori banal et limité qu’il élève au rang d’instrument : le dictaphone ou walkman enregistreur.

Fils d’un professeur d’université et d’une peintre, élevé dans un contexte familial ouvert sur les arts, Aki Onda trouve mal sa place, tant enfant qu’adolescent, dans le système éducatif japonais – et, partant de là, dans la société japonaise toute entière. Aki Onda dit s’être toujours senti comme un étranger dans son propre pays. Même si « cela ne se fait pas », il fréquente les laissés pour compte d’un buraku (ghetto social) de sa ville et les seuls cours qui trouvent grâce à ses yeux sont ceux de peinture, de textile et de photographie. À l’âge de seize ans, il part vivre seul et commence à gagner sa vie en faisant publier ses photos de musiciens des scènes de Kyoto et Osaka. Un milieu qui le poussera bientôt à se mettre à la musique lui-même (à l’ordinateur et à l’échantillonneur dans un premier temps) puis à former le trio hip-hop Audio Sports avec Yamatsuka Eye et Nobukazu Takamura en 1990.

Mais, surtout, en 1988 déjà, vivant quelques temps à Londres il s’achète, peu de temps avant de partir au Maroc, sur le marché aux puces de Brixton, son premier walkman enregistreur. Quelques semaines plus tard, au Maghreb, il l’utilise pour faire ses premiers field-recordings (enregistrements de terrain). Pour garder une trace, comme une série d’annotations furtives de sons et de moments qui le touchent (« Je rencontre les sons par hasard et je les enregistre. Bien sûr, je ne presse le bouton d’enregistrement que si je sens que quelque chose de fort me relie à une source sonore. Et ceci, même si ces sons auxquels je me sens intensément connecté lorsque je me promène en rue, ne me sont pas immédiatement compréhensibles à ce moment-là », interview par Minoru Hatanaka, 2002) et qui donneront peu à peu la matière dont sera bientôt tissée une sorte de journal intime sonore . Dans un premier temps, Onda enregistre sans réécouter et archive sans projet de diffusion ni de divulgation publique de sa collection de sons intimes. Les cassettes s’accumulent pourtant à un point tel qu’il décide d’en partie les réutiliser. Avant de partir en balade ou en voyage, il prend l’une ou l’autre cassette déjà enregistrée au hasard dans la grande caisse en carton où il les stocke en vrac et fait défiler « à l’aveugle » (ou plutôt « à la sourde » : sans écoute) la bande magnétique jusqu’à un point, sinon aléatoire au moins non contrôlé, à partir duquel il enregistre une nouvelle couche de sons qui efface pendant quelques secondes (le temps d’une « prise ») la strate précédente… Le projet Cassette Memories d’Aki Onda est donc autant un travail sur les souvenirs que sur leur corollaire dialectique : l’oubli.

Difficile aussi, à la lecture du paragraphe précédent (déracinement, achat de son outil sur un marché aux puces, journal intime et – surtout – période d’attente, d’oubli et de redécouverte entre la captation et la diffusion publique), de ne pas penser au cinéaste expérimental new-yorkais Jonas Mekas (Semeniškiai, Lituanie, 1922). Lorsque, de 1967 à 1969, ce dernier monte Walden (sous-titré _Diaries, Notes & Sketches,_ ou « Journaux, notes & esquisses »), le film qui par son élan et son ampleur fera passer la pratique du « journal filmé » à un autre niveau d’intensité cinématographique, ce sont des images tournées entre 1963 et 1968 qui s’y trouvent accueillies et mises en résonance. Pour Reminiscences of a Journey to Lithuania, le décalage temporel est encore plus significatif : monté en 1972, le film intègre des séquences tournées entre 1949 et 1953 et lors d’un retour vers son village natal en 1971, soit presque trente ans après qu’il l’a quitté. Cette association Jonas Mekas/Aki Onda ne vit pas que dans l’esprit de l’auteur de ces lignes. Tout d’abord, Reminiscences est de l’aveu d’Aki Onda un des films qui, aux côtés de ceux de Marguerite Duras, l’ont à tout jamais bouleversé à l’adolescence et l’ont clairement amené à choisir le camp de l’art et de la marge plutôt que celui de la réussite sociale et de la norme. Mais aussi, à la fin des années 1990, Aki Onda rencontre Jonas Mekas : son aîné apprécie son travail photographique et organise deux expositions pour le faire découvrir au public new-yorkais. Mais aussi, par la discussion et l’échange d’idées avec Mekas, Onda affirme être parvenu à mieux comprendre ce qu’il était en train de faire de manière relativement spontanée et peu consciente dans le cadre de son projet d’enregistrement – et d’effacement – de cassettes : une métaphore de la mémoire humaine et de ses imperfections, où le temps intervient de manière mystérieuse et difficilement contrôlable pour distordre et flouter les souvenirs. Dès lors, le côté cheap (bon marché) et lo-fi (low fidelity ou basse fidélité) de la musicassette (on est loin de la qualité de restitution sonore de la bande magnétique « noble » quart de pouce des studios et des enregistreurs portatifs Nagra) est cohérent avec le (dys)fonctionnement de notre mémoire. Par sa texture et son timbre, la cassette transforme même le son dès l’instant de son enregistrement !

Et quand, à partir de 2002, Aki Onda commence à donner des concerts au cours desquels il utilise plusieurs cassettophones comme instruments de diffusion – recourant à foison, dans une sorte de scratch magnétique, aux possibilités des touches de rembobinage et d’avance rapide –, il insiste auprès des gens qui l’accueillent pour l’amplifier au moyen d’amplis de guitares à lampes, au son moins précis mais « chaud » et « profond », plutôt qu’au moyen de sonos plus précises mais d’une fidélité sonore trop « froide » ou « clinique ».

(Philippe Delvosalle)


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ONDA, Aki
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