Ingar ZACH


Adolescent, Ingar Zach se fit entendre en membre appliqué d’un big band. C’était à Oslo, et qui aura un jour écouté Percussion Music – disque que le même Ingar Zach, à peine plus âgé, enregistra ensuite – se posera inévitablement la question : les Norvégiens ont-ils une autre notion du big band que celle généralement admise ? Une notion qui permettrait aux percussionnistes subtils de porter une section de cuivres avec autant de force que les tambours véhéments ou les caisses claires bravaches ? Le big band norvégien avancerait ainsi d’un bout à l’autre d’un parcours balisé tout autant mais en respectant une mesure délicate. En bout de course, les cuivres feraient comme ils ont appris, c’est-à-dire se tairaient decrescendo pour prendre le percussionniste par la main et puis le libérer : on imagine alors Ingar Zach sortant des rangs de l’orchestre et se dirigeant seul vers l’usine désaffectée dans laquelle il enregistrera Percussion Music.

Une ancienne chocolaterie – pour être plus précis et puisqu’on abandonne même les chocolateries –, dans laquelle auront été préalablement disposés des éléments de batterie et une cithare. À Zach d’inventer alors. À Zach de faire naître en espace clos et sordide sans doute des climats inattendus, de commander des bourdons qu’il se chargera ensuite d’étouffer patiemment ou encore de multiplier les coups en espérant que les sons dont ils accoucheront seront repris, voire transformés, par l’écho – c’est que le percussionniste, ici, joue aussi de l’usine qui l’accueille – comme Fritz Hauser jouait la même année de l’architecture de Peter Zumthor en Thermes de Vals (Sounding Stones). Après une entrée délicate, les cymbales commencent donc à fomenter des plaintes, grandes lignes d’une composition magistrale encore en devenir. En parallèle et sur les peaux de frappe et de résonance de sa caisse claire ou de sa grosse caisse, Ingar Zach distribue les coups ou dépose des caresses. Inattendu, un drone né des effets de l’électricité entrée en contact avec l’une des cordes de la cithare vient parfois semer le trouble dans l’abstraction avant de s’y glisser et de s’y fondre finalement. Et puis, le grand espace intervient, ayant lui aussi son son à dire : les silences qu’il amène ne sont pas des silences communs : les bruits qu’il amène sont des bruits augmentés : les silences et les bruits qu’il amène sont des silences et des bruits environnés. Ingar Zach agit en intrus ; l’espace clos le repère ; Ingar Zach convainc l’espace clos des bienfaits de sa présence.

Ce grand moment de solitude – consigné depuis en une seule plage de Percussion Music – aura permis à Ingar Zach de se faire une place de choix au sein d’une galerie de figures de discrétion créative. Avec quelques-unes de celles-ci (Derek Bailey, Rhodri Davies, Andrea Neumann, Axel Dörner, John Butcher, Philip Wachsmann, etc.) ou encore Dans les arbres (projet qui l’associe au guitariste Ivar Grydeland, au pianiste Christian Wallumrød et au clarinettiste Xavier Charles), le percussionniste Ingar Zach n’aura depuis cessé de fuir les rangs des big bands – parce que la notion que s’en fait la Norvège est en définitive la même que celle généralement admise – pour remettre son ouvrage improvisé sur le métier subtil et continuer de peaufiner cet art lumineux qu’il met au service de rumeurs sombres.

Guillaume Belhomme



Artists

ZACH, Ingar
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