John Butcher est un saxophoniste improvisateur (aux saxophones soprano et ténor), né en 1954 à Brighton et vivant depuis les années 1970 à Londres. En 1982, celui-ci défend sa thèse de doctorat en physique théorique, « Spin effects in the production and weak decay of heavy quarks ». [Sans entrer dans les détails, les quarks sont des particules élémentaires, nommées poétiquement d’après Finnegan’s Wake de James Joyce]. Si lui-même préfère ne pas trop insister sur les liens entre physique et musique, entre recherche scientifique et explorations sonores, c’est cependant bien au cours de ses années passées à l’Université que l’on peut trouver le point originel de toutes ses aventures musicales ultérieures.
En duo avec le pianiste et compositeur Chris Burn qui, à cette époque, joue souvent les doigts directement sur les cordes, à l’intérieur du piano, plutôt que sur les touches du clavier puis, dès 1984, en trio avec le guitariste John Russell et le violoniste Phil Durrant, Butcher est confronté par la pratique à trouver des sons de saxophone qui n’écrasent pas ceux, beaucoup plus fragiles, des instruments à cordes. Cette recherche de nouveaux sons non immédiatement connotés « jazz » ou « saxophone », l’oblige à la fois à prendre de la distance vis-à-vis de son instrument (« Au cours de cette première époque, je me suis souvent retrouvé dans la situation où j’avais en tête un son – qui pouvait être un son d’un disque de Howlin’ Wolf ou d’une œuvre de Penderecki – et de chercher à le recréer sur l’instrument. Le seul moyen d’y arriver, c’était d’oublier que je tenais entre les mains un saxophone. ») et à s’y consacrer corps et âme, en déroulant des heures et des heures d’un jeu de saxophone beaucoup plus conventionnel que ce qu’il en fait dans sa propre musique (« La différence entre une harmonique résonnante telle que je la recherche et un horrible scrouitch est tellement ténue – il suffit d’une petite erreur des lèvres ou des doigts – que répéter est la seule solution. Parce que je joue beaucoup aux frontières des possibilités de l’instrument, utilisant des sons à la limite du contrôlable. ») De ce dialogue avec les sonorités vulnérables des instruments à cordes de ses amis découlent directement une sorte de transparence de ses propres couleurs sonores, un sens inouï des microdétails et un certain bagage quasi éthique (une attitude) de la délicatesse et de la prévenance dans l’écoute et dans la place laissée à ses coimprovisateurs. Ce qui ne l’empêche pas, de temps en temps, ces dernières années, de se frotter à des musiciens plus énergiques (Paal Nilssen-Love) ou bruyants (Andy moor, Thomas Lehn) et de s’y faire entendre.
Dans une seconde étape de son parcours, entamée en 1997 par des duos avec son complice de la première heure Phil Durrant qui jouait désormais autant d’électronique que de violon, John Butcher, très influencé par certaines œuvres de Xenakis ou de Stockhausen dans sa jeunesse, a eu à se poser de nouvelles questions d’interaction sonore : comment interagir avec l'électronique ou d’autres tactiques analogues de modulation du son ? Il se confrontera ainsi par exemple avec la « no input mixing desk » (table de mixage en circuit fermé de feedback) de Toshimaru Nakamura ou le laptop de Christian Fennesz dans le cadre du collectif acoustique-électronique Polwechsel…
Une dernière ligne de force ayant accompagné sur la longue durée les vingt-cinq premières années du parcours de John Butcher qu’on relèvera ici dans cette présentation rapide réside dans son attachement à l’exploration des lieux. C’est-à-dire dans le jeu avec les particularités d’écho et de réverbération d’espaces naturels ou construits : citernes, silos, gazomètre à Oberhausen, musée de la pierre Oya dans les montagnes japonaises (« Cavern with a Nightlife »), mausolée pharaonique d’une lignée de ducs écossais (« Resonant Spaces »)…
Philippe Delvosalle