Henri POUSSEUR

  • ELECTRONIC EXPERIMENTAL AND MICROTONAL 1953-1999 (FP7709) écouter

Originaire des cantons de l’Est, dits « rédimés » (du latin redimere, racheter : ex-territoires allemands rattachés à la Belgique en 1919), Henri Pousseur (Malmédy, 1929-Bruxelles, 2009) a donc grandi au milieu d’une des zones de contact entre les cultures romane et germanique. Au début des années 1950, à la fin de ses études musicales supérieures qui l’auront profondément initié au dodécaphonisme et à d’autres musiques dites « d’avant-garde » du début du XXe siècle, il noue des contacts avec ses pairs aussi bien vers le sud (Pierre Boulez, Luciano Berio) que vers l’est (Karlheinz Stockhausen). En 1954, Pousseur côtoie Stockhausen à Cologne, lorsqu’il travaille aux studios de musique électronique de la radio WDR, inaugurés en 1951. Après avoir également visité le Studio di Fonologia de Milan, Pousseur fonde en 1958 son équivalent bruxellois.

Une vingtaine d’années plus tard, Berio, désormais directeur de l’Institut de coordination et de recherche acoustique/musique (IRCAM), à Paris, commande une œuvre à une série de compositeurs amis pour une exposition consacrée à la musique électronique qui fera partie des manifestations d’inauguration du Centre Pompidou. L’invitation faite à Pousseur donnera la pièce _Liège à Paris_ : une sorte de Hörspiel (« jeu d’écoute » ou pièce radiophonique) sur bande quadriphonique, détournant malicieusement la commande pour « venger » musicalement un artiste ami, victime des lourdeurs des institutions culturelles françaises. L’écrivain Michel Butor, avec qui le compositeur belge avait déjà travaillé à trois reprises, sur les œuvres Votre Faust (1960-1968), Répons (1960-1965) et Le Procès du jeune chien (1974-1978) [au moins quatre œuvres en commun suivront encore entre 1982 et 1993], venait en effet de se voir exclu du corps académique français, et poussé à l’exil vers l’Université de Genève, pour une banale histoire de diplôme. Pousseur avait donc « l’intention d’exprimer ses remontrances à la “Ville-Lumière”, dont ce n’était sans doute pas la seule petitesse, même récente. Mais comment un provincial oserait-il justifier pareille outrecuidance ? En commençant par montrer son admiration, naturellement, c’est-à-dire en rendant une visite amoureuse à Paris, dont [sa] ville s’était toujours sentie un peu la sœur cadette. Donc Liège n’irait pas seulement Paris, mais elle lui parlerait, elle lui dirait amicalement son fait ! »

Ainsi, le fil de deux voyages partiellement simulés s’entremêlent sous forme de « tresse » dans la composition : d’une part, le minitrip ferroviaire de quelques touristes liégeois à Paris (en fait, un bande d’amis du musicien et de sa fille commentant, sans quitter Liège, un reportage photographique de France-Observateur sur Beaubourg – sur fond de vrais sons de gares et autres lieux parisiens, quand même) et d’autre part, les périples aéroportés de Michel Butor partant donner quelques conférences aux quatre coins du globe (incluant son fameux texte d’amour-haine tiré du second volume du Génie du _lieu_  : « Je hais Paris »).

Bourrée de références, d’emprunts et de citations (Rousseau, Breton, « Le Temps des cerises » ou « El pueblo unido jamas sera vincido » dans sa relecture par Frederic Rzewski) et entrelaçant le « vrai » et le « faux », le capté et le joué, Liège à Paris reste une œuvre plutôt légère, irrévérencieuse et un peu moqueuse – mais toujours avec un petit sourire. À l’image de son compositeur ! Le détournement de commande est presque un genre en soi de l’histoire du cinéma documentaire ; il peut donc aussi contaminer de manière féconde un monde de la musique classique contemporaine parfois trop sérieux et coincé.

(Philippe Delvosalle)


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POUSSEUR, Henri
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